Voix rauque, pesante et enveloppante, il avait un coté paysan, maquignon se dirigeant vers son bureau le matin comme un propriétaire terrien vers le champs de foire : à pas lents dans son beau costume noir à rayures blanches. Ne manquait que les souliers en crocos, souriait-on en le voyant s’avancer au fond du couloir, une mèche blanche savamment indocile lui barrant le front. Silhouette chaloupée et sourire franc. Le tout magnifiquement écrasé par une épaisse couche de vernis, qu’il fallait gratter pour découvrir un homme sensible et doué d’un sens journalistique aiguisé.
Yann de l’Ecotais, que j’ai rencontré pour la première fois un jour de décembre 1989, m’engagea à l’Express avec la spontanéité d’un paysan qui a appris dans les herbages à jauger d’un coup d’œil les bestiaux. Il me fallu franchir un sas, où veillait un cerbère de secrétaire, (qu’il fallait séduire parce que secrètement amoureuse de celui qui régnait sur ce journal et dont elle protégeait le bureau avec férocité), pour atteindre son antre.
A ma grande surprise mon entretien d’embauche, que j’avais préparé comme on révise un oral de Science Po, ne dura qu’une petite minute chrono: au terme d’un silence qui me sembla une éternité, il me lança, «j’espère que vous serez heureux ici ». Ce tête à tête insolite me laissa le souvenir étrange d’un homme timide, attachant, mélange d’élégance naturelle et de hauteur désabusée. Je ne le revis que huit jours plus tard, au détour d’un couloir. Et j’aperçu dans son regard une petite lueur qui semblait dire qu’il était heureux de me compter dans son cheptel.
Dix années durant, « Yann » m’accorda sa totale confiance: jamais je le vis une seule fois vaciller, m’abandonner en rase campagne quand une personnalité, mise en cause dans l’un de mes articles, faisait, furibarde, le siège de son bureau, où s’accumulaient les papiers bleus d’avocats exigeants ma tête.
Il dirigea l’Express comme on élève une famille. Ce niçois d’origine, épicurien en diable, capable de faire passer son plaisir avant le salut du journal, se montrait attentif, paternel, clanique, même. Yann de l’Ecotais n’était pas, et c’est un éloge, superbement intelligent, il ne pensait vite qu’au terme d’intuitions fulgurantes et toutes ses décisions, ses choix de couvertures, ses angles d’éditos, semblaient alors frappés d’évidence. Et chacun saluait alors l’artiste.
J’ai aimé cet homme. Sa tranquille assurance et son élégance dans la défaite. Quand il fut poussé vers la sortie par un actionnaire n’ayant de la presse qu’une vision boutiquière, (le groupe Alcatel), désireux de faire un coup de pacotille avec l’embauche de Christine Ockrent), on ne l’entendit pas. Seul son teint d’ivoire, blanc cassé par la tristesse trahit à l’époque son émoi. Il disparut comme il était: discrètement, un soir de fin de semaine, sur la pointe des pieds. Sans un au revoir, sinon pour son premier cercle de fidèles.
Yann de L’Ecotais s’est éteint en fin de semaine et chacun de ceux qui l’ont côtoyé à l’Express pourrait lui dresser un imaginaire trépied, sur lequel on ne doute pas qu’il monte pour nous dispenser, de temps à autre, quelques solides et belles leçons de journalisme.
De profondes pensées pour les siens.
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octobre 26, 2008
bel hommage !
janvier 21, 2011
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avril 11, 2011
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