Lecteurs, on ne vous aimera jamais assez
Je suis revenu regonflé du seizième congrès de la presse française, qui s’est tenu à Lyon, dans le cadre des Etats Généraux de la presse. Il y a au moins un congrès en France où tout le monde a été d’accord : la presse, en état de crise majeure, doit s’adapter pour survivre. La « mutation » passe par des solutions concrètes, meilleure distribution, réduction des coûts d’impression, aide de l’Etat. Elle passe surtout par la nécessité de faire du cross media, en allant chercher sur Internet l’audience et les recettes qui font défaut. Un mot a fait florès, celui de « modèle » (la chasse au modèle national est une obsession française), étant entendu que s’il y en a eu un (les Français se découvrent un modèle et l’honorent quand il n’est plus), il est mort, sans postérité. Aujourd’hui, la presse doit progresser au pif dans les nouveaux territoires numériques, sans garantie comptable de réussite.
Je retiens des débats quelques idées intéressantes. Par exemple, que dans un univers numérique en expansion, les audiences, au lieu de se diluer dans un nombre de titres et de chaînes à la croissance exponentielle, font tout le contraire. Elles se polarisent. Un individu moyen se repose sur 1 journal, 2 ou 3 magazines, 2 stations radio, et 3 à 4 chaînes.
Autre idée : la fragmentation des usagers. Un internaute n’est pas un lecteur de presse ni un téléspectateur. Chaque support produit son usager. Un usage ne se dicte pas.
Je regrette que les interventions des patrons de journaux aient plus porté sur les formes, les technologies, les « usagers » que sur le contenu éditorial, la raison d’être du titre, du pourquoi on aurait envie de le lire. Cela fait pourtant longtemps que le dogme du marketing de la demande (faire des produits calibrés en fonction de la demande des consommateurs) a perdu de sa morgue, au profit d’un marketing de l’offre. L’offre crée la demande, le public, l’audience, le marché. Elle ne s’arrête pas, pour séduire, à une maquette renouvelée, un toilettage de printemps, un nouveau quotidien sportif, elle doit être portée par une émotion, avoir une âme, être adhésive. La même règle vaut en politique. Je me méfie d’un candidat qui s’en remet à « ce que veulent les Français ». Si on faisait de la politique par sondage, François Mitterrand n’aurait pas aboli la peine de mort en 1981.
J’en arrive à me demander si les dirigeants de la Presse nationale aiment encore les lecteurs qu’ils ont conservés. Ces fidèles grognards devraient être valorisés, traités en héros ; un monde sans eux et sans papier serait un monde mort. Cela n’empêche pas d’investir sur Internet et d’y être créatif. Les Trophées de l’Innovation presse décernés à Lyon ont pu saluer quelques beaux exemples de réussite, entre les webreportages de « Géo » ou le Talk Orange-Le Figaro. Mais la presse écrite, souffrante, a le complexe du papier mouchoir.
Fascinée par la modernité (identifiée à la
jeunesse) que représente Internet, les enfants de Beuve-Méry, Lazareff, (photo), Hersant ne savent plus magnifier ce que le bon vieux journal a de spécifique (matière, écriture, mode de lecture, et lecteur). Au contraire, ils se plaignent de leurs lecteurs. Les artistes sont plus reconnaissants : ils saluent le public même si la salle est quasi vide. Philippe Gavi
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