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J’éprouve un sentiment de malaise quand les jeunes militants de la Ligue de défense juive manifestent leur colère dans l’enceinte où se tient le procès de Youssouf  Fofana et du « gang des barbares ». Ils veulent que le monde entier réalise que c’est un crime antisémite qui a été commis.

Je partage leur horreur. Ilan Halimi a été martyrisé de façon ignoble ; il est certain que le fait qu’il soit juif a pesé dans l’acharnement haineux des tortionnaires.

Sur ce point, j’aimerais être assuré que les manifestants éprouvent la même répulsion vis-à-vis de tous les crimes atroces, racistes ou non, de droits communs ou de guerre, de quelle qu’origine que soit le camp. Passons.

 

Là où je m’interroge, c’est sur l’objectif : faire qualifier ce crime odieux comme un crime ordinaire de l’antisémitisme. Je m’inquiète des propos de Richard Prasquier, président du CRIF, quand il déclare au Monde qu’il souhaite que les audiences soient publiques pour mettre en évidence « les sources de cette haine du juif à l’état brut qui s’est manifestée durant le martyre de ce garçon ». Il  poursuit : « Faut-il les chercher dans les facteurs économiques, les discours de Dieudonné, le conflit israélo-palestinien ? ». Evoquer un effet Dieudonné me semble injuste, voire indécent.

Que le jeune homme ait été kidnappé parce que, selon le stéréotype connu, sa famille était juive, donc fortunée et soutenue par sa communauté, est un fait, avéré.

 

Mais il n’arrive pas qu’à des juifs d’être enlevés parce que la famille est supposée fortunée. Surtout, il n’arrive pas tous les jours que la victime, juive ou non, soit séquestrée et martyrisée à mort,

Si l’antisémitisme, sous forme de préjugés, peut être un sentiment ordinaire, le crime commis sur Ilan Halimi, lui, n’est pas ordinaire. Tirer la sonnette d’alarme n’a de sens que s’il y avait eu plein d’Ilan Halimi torturés dans les barres HLM de nos banlieues.

Stéréotypes et préjugés de toutes natures circulent dans notre société, sans forcément faire des gens des criminels. La haine est apatride ; méchanceté, cruauté, lâcheté sont des tares universelles

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Là où le crime du gang à Fofana est ordinaire, c’est que tous ont participé au supplice, ou fermé les yeux. Vérifiant cette loi sociologique selon laquelle il est dans la nature des hommes quand ils sont en foule, en bande ou commandés par un chef d’avoir des conduites suivistes, de perdre toute conscience, de se défouler, de trop aimer et de trop haïr, jusqu’à l’hystérie.

Fin avril, Libé avait la bonne idée de faire sa « une » sur un documentaire de Christophe Nick, qui reprenait, dans le cadre d’un faux jeu de téléréalité, l’expérience en laboratoire menée par l’américain Stanley Milgram au début des années soixante ; il se vérifiait qu’une majorité de quidams peuvent, si on le leur commande, flanquer des chocs électriques de plus en plus violents à un cobaye. 62, 5 % des sujets sont allés jusqu’au bout, 480 volts.

Je retiens cependant qu’une minorité s’est arrêtée à temps, que le nombre de cons criminels diminue quand ils entendent les hurlements de la victime, et diminue encore plus quand quelqu’un commence à les raisonner.

 

Je  retiens moins la « banalité du mal » (selon l’expression de Hannah Arendt) que le fait qu’un peu plus de 10 %, lucides, ont refusé de se prêter au jeu. .

Qu’est-ce qui fait qu’un individu conserve son libre arbitre,  ne suit pas la foule, ne se joint pas à la meute, n’annone pas les idées établies, se défie des rumeurs, n’obéit pas aveuglément ?

Ce n’est pas la haine du juif qui a transformé une trentaine de personnes en monstres, c’est la « loi » du groupe, sous domination d’un authentique salopard sadique, C’est la lâcheté ordinaire. PG