(photo, Daniel Renard)
L’un de vous m’a interpellé avec pertinence à propos de la très belle opération financière que s’apprête à réaliser l’homme de télévision Claude Berda, (à droite sur la photo). Parti de rien ou presque il y a un peu plus de 20 ans, ce patron de chaînes, qui fit ses premiers pas dans l’audiovisuel en créant sur TF1 le Club Dorothée, est aujourd’hui à la tête d’un petit empire audiovisuel qu’il a décidé de céder à cette même chaîne pour un joli paquet: à la tête d’un bas de laine estimé à 460 millions d’euros cette 83e fortune française devrait réaliser très prochainement une très belle et juteuse opération.
La valorisation de l’ensemble d’AB Group avoisinerait, en effet, un peu plus de 700 millions d’euros, soit la même valeur que celle arrêtée il y a trois ans, lorsque TF1 a pris une participation de 33,5 % dans le capital en déboursant 230 millions d’euros. Donc, les deux tiers du capital d’AB Group qui manquent à TF1, valent environ 470 millions d’euros. À ce montant, il convient de retirer le prix des chaînes du câble et du satellite conservées par Claude Berda et dont la valeur reste à déterminer. Ceci fait l’objet d’ultimes discussions.
TF1réaliserait cette transaction en partie en monnaie sonnante et trébuchante et, en partie, en actions TF1 offertes à Claude Berda, qui pourrait ainsi détenir entre 4 % et 8 % du groupe TF1.S’ajoute à cela une participation de 9,9 % dans Canal + France, dont le montant est garanti jusqu’en février 2010, à 748 millions d’euros. On l’a compris, l’homme est riche.
Voilà pour le décors. Reste un important point de détail soulevé par ce lecteur: TMC et NT1, ces deux chaînes dont Claude Berda négocie aujourd’hui la vente à prix d’or, sont toutes les deux installées sur la TNT. Un statut envié qui découle de l’octroi à Claude Berda, par le CSA, de deux fréquences gratuites et de choix. En effet, sans cette exposition sur la TNT, ces deux chaînes n’auraient pas la même audience, puisque plus des deux tiers des français peuvent désormais recevoir les chaînes de la TNT, ni bien sûre la même valeur.
Voilà donc une spécificité bien française qui pourrait en choquer plus d’un. Le parc des fréquences radios et télés doit être considéré comme un bien commun, un patrimoine technologique sanctuarisé, propriété de l’Etat et dont le gardien est aujourd’hui le CSA. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on parle toujours à propos de TF1, de M6 ou de Canal+ de «concessions de service public». Un terme clair mais devenue insolemment inapproprié dans la mesure où ces concessions n’en sont plus, vu que les concessionnaires en question en sont devenus de fait, au fil des ans, les propriétaires. Même chose en radios: on se souvient qu’au début des années 80, en pleine déréglementation du paysage audiovisuel, une jeune génération de radios amateurs a touché le jackpot en se voyant offrir gratuitement sur un plateau d’argent des fréquences, en veux tu, en voilà! Certaines d’entre elles furent revendues très vite sous le manteau et à prix d’or, sans que l’État ne trouve à redire à ce marché noir, (j’en connais même qui se dorent au soleil depuis le milieu des années 80). D’autres fréquences, également accordées gratuitement, ont permis à de jeunes entrepreneurs de bâtir tout simplement des empires, à l’image du patron de NRJ, Jean-Paul Baudecroux, parti de rien et monté très haut.
C’est comme si demain matin, l’État, dans sa grande bonté, décidait de vous offrir une portion d’autoroute sur laquelle vous auriez l’autorisation d’installer des bornes de péage et des complexes commerciaux. Et qu’une fois votre entreprise devenue florissante, vous la vendiez sans que l’État et le contribuable ne voient un centime de cette jolie transaction. En radio, comme en télé, c’est la publicité qui fait office de bornes de péage, cette pub qui a permis à toute une génération de jeunes patrons de radios, déboulés d’on ne sait où, de faire fructifier leurs miraculeuses acquisitions. Joli cadeau, joli pactole.Tout cela est choquant, amoral, indécent, stupéfiant mais entièrement légale. Dans sa volonté de déverrouiller un paysage médiatique corseté, empesé, cadenassé depuis 40 ans, François Mitterrand avait poussé très loin son désir de déréglementer un paysage que prirent d’assaut de jeunes loups aux dents longues. Un vent de liberté qui vit l’éclosion de milliers de radios d’abord et d’une légion de jeunes producteurs, ensuite: tous se sont engouffrés dans cette brèche ouverte par Mitterrand et quelques uns ont touché le gros lot.
Personne ne peut en vouloir bien sûre aujourd’hui à Claude Berda de récolter le fruit de son travail et de réaliser cette formidable culbute financière: l’homme n’a fait que prendre la vague de 1981 et il a surfé sur celle-ci avec habilitévet talent. Mais beaucoup et j’en suis, pourraient reprocher au législateur, comme aux politiques, si sourcilleux dans bien des domaines et surtout dès lors qu’il s’agit de la chose publique,de n’avoir pas mieux encadré cette révolution. Et d’avoir fait preuve, jusqu’à aujourd’hui, d’une extraordinaire légèreté.
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juin 15, 2009
Le cas de Canal+ est beaucoup plus avantageux.
Unique au monde, la « concession » accordée à Canal+ depuis 1984 est limite scandaleuse, d’un point de vue concurrentiel.
Non seulement elle a été l’unique chaîne à péage hertzienne durant plus de 20 ans, mais l’Etat lui accordé certains privilèges parmi lesquels l’un d’entre eux perdure :
Canal+ peut commercialiser des écrans de publicité pour sa diffusion en clair. Alors que France Télévision se voir progressivement interdire la publicité, le gâteau publicitaire de Canal+ est de plus en plus rémunérateur…
Quelle contradiction ! C’est une chaîne payante qui récolte le meilleur rendement publicitaire alors que « les gratuites » (surtout les nouvelles venus comme celles d’AB par exemple) sont donc pénalisées.
On peut comprendre que pour la période de son lancement Canal+ ait pu avoir besoin de publicité pour se « consolider » mais avec plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires depuis des années… Pourquoi maintenir la publicité ?
Cela mériterait un papier de notre « sherlock Renaud Revel »…
juin 15, 2009
Ce qui me dérange dans cette affaire c’est la dissymétrie entre le contrôle très rigoureux des candidatures (contenu des programmes, actionnaires,…) au moment de l’attribution des chaines et la très grande souplesse dont il est ensuite fait preuve une fois que les chaines sont autorisées en ce qui concerne les changements importants qui les affectent.
On l’a déjà vu avec le changement de M6 Music en W9 ou le passage de BFMTV en chaine d’info généraliste (et non économique).
Ici 2 chaines importantes de la TNT vont être détenues par TF1, chaine leader de la télévision gratuite. Pas sûr que toutes les deux auraient été sélectionnées si au moment de leur candidature elles appartenaient déjà à TF1.
Bien-sûr c’est normal que les choses ne soient pas figées, que l’actionnariat d’une entreprise évolue… Mais ici c’est quand même une évolution énorme qui modifie en profondeur les enjeux économiques de la TNT (et peut-être aussi son pluralisme).
N’est-il pas un peu facile de se faire sélectionner lors des appels à candidature en présentant des dossiers répondant à toutes les exigences (programmes de la chaine, actionnariat, etc), puis, une fois sélectionné, de faire tout autre chose sans n’avoir rien à craindre?
C’est injuste à l’égard des candidatures qui n’ont pas été retenues.