L’affaire qui voit Emmanuel Chain
En effet, il semble que Emmanuel Chain et ses équipes aient fait, durant de longues semaines, un long et méticuleux travail d’enquête, avant de commencer à tourner les premières images d’un sujet devenu objet de scandale. Et la bonne foi du journaliste ne peut être mise en doute, quand il nous détaille chez Denisot le processus qui a conduit son équipe de tournage à convaincre ces dealers de témoigner de leur quotidien de trafiquant.
Le problème de Chain est ailleurs. Car s’il y a polémique aujourd’hui, c’est moins en raison de l’enquête proprement dite de TF1, qui traduit de manière assez spectaculaire une réalité précise, que dans la démarche de la chaîne et de son journaliste. Je comprends totalement la réaction du maire de cette ville qui ne peut accepter que l’image de sa commune soit réduite de la sorte à une petite centrale d’achats de stupéfiants contrôlée par une poignée de jeunes caïds, quand la grande majorité de ses administrés y vivent difficilement, mais normalement.
Qu’on le veuille ou non, ce reportage ne peut être vécu par les habitants de Tremblay que comme l’expression d’une stigmatisation. A cela s’ajoute le risque, avéré, d’assister, avec la médiatisation de cette petite délinquance, à une multiplication d’incidents: hasard ou non, le passage de TF1 a Tremblay a transformé des bandes de gamins, adeptes du caillassage d’autobus, en héros local, la consécration étant une reprise au journal de 20 heures. A chacun sa part d’audience.
On voit l’engrenage, et je ne suis pas sûre que Chain et ses équipes aient bien mesuré toutes les conséquences liées à une immersion aussi ciblée au sein d’une bande de petits voyous qui incarnent à eux seuls depuis deux semaines une agglomération, tout entière montrée du doigt. La «banlieue», terme générique, (comme s’il n’y avait qu’une seule et même banlieue, faite de barres d’immeubles, de ghettos et de trafics), est devenue en quinze ans le terrain d’investigation préférée de chaînes en mal d’exotisme: moins loin et moins dangereux que le Bronx de la grande époque, mais tout aussi bonne à filmer, pour peu qu’on y trouve quelques-uns des ingrédients. Le Droit de savoir et les poussées d’adrénaline de ses équipes de journalistes-baroudeurs, parachutés aux portes de Paris, avait montré le chemin. Caricatures, raccourcis et clichés: on a eu droit à tout, durant des années.
Gênée aux entournures par l’idéologie sécuritaire que développait alors ce magazine en treillis et monté sur chenilles, TF1 s’était décidé à remiser ce programme. Réinvestir quelques années plus tard nos banlieues avec un tout autre regard partait, du coup, d’une bonne démarche. Car telle était la promesse : dépeindre, expliquer, mettre entre perspective et éviter les clichés. Or en l’espace d’un mois, Harry Roselmack et Emmanuel Chain sont allés sillonner les mêmes coins, revisiter les mêmes quartiers, fouiller les mêmes caves, afin de nous resservir ces mêmes éternels reportages dont on a soupé: A chacun son ghetto.
Rien de neuf sous le soleil, si ne n’est une nouvelle génération: les dealers d’hier ont laissé la place à leurs petits frères ou cousins et les habitants sont toujours aussi fantomatiques : comme si Tremblay, La Courneuve ou Bondy n’étaient que des cités désertes. L’ensemble est plus léché, les commentaires, moins « caporalistes », sont plus écrits, les enquêtes sans doute plus approfondies, les images mieux choisies. Mais la toile de fond reste la même: des villes en marge, livrées à des bandes, au bord du couvre-feu. Des administrations absentes, des maires claquemurés, une population fantomatique…Et face à leurs petits écrans, des habitants qui ne se reconnaissent toujours pas à l’heure des JT, quand la télévision leur renvoie l’image déformée de leurs vies: Forcément réducteur.
avril 25, 2010
OK pour dénoncer les délits et dérives des banlieues… Mais le vrai journalisme ne serait-il pas de ne plus enfoncer des portes ouvertes ?
Le courage consisterait à s’intéresser par exemple, à l’omnipotence des grands groupes industriels et de communication, notamment pour le financement occulte ou le soutien à peine caché de certains personnages politiques (très) haut placés.
Vivendi, Bouygues, Bolloré, Lagardère… Tous « amis » voire « frères ».
L’audace journalistique consisterait à rendre publiques les magouilles en milliards d’euros de ces très puissants mais intouchables systèmes. Le 9.3., c’est bien plus facile…