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Jérôme Kerviel a été condamné, durement. Plus que les cinq ans de prison, dont trois fermes, la presse a d’abord retenu le montant des indemnités à payer à la Société générale : 4,9 milliards d’euros. Cette somme, inconcevable pour le commun des mortels, a donné lieu à de stimulants exercices d’écoliers. Combien font 4,9 milliards divisés par 2300 (son actuel salaire d’informaticien) ? Les juges n’étant pas des idiots, je gage que pour rappeler les esprits à la réalité, ils ont voulu rendre un verdict aussi allégorique qu’une fable de La Fontaine ou le jugement de Salomon. Ils ont donc poussé à bout la logique pénale du procès du trader en fixant un montant à hauteur de l’absurdité et de l’irresponsabilité du système bancaire qui a permis à un Kerviel de confondre finances et casino.

La Société générale, comprenant que le tribunal correctionnel de Paris lui avait refilé une grenade dégoupillée, s’est empressée de la désamorcer. La banque ne renoncera pas à toute indemnisation mais elle n’a pas l’intention d’endetter un « homme seul » sur 177.000 années, a déclaré la directrice de la communication. « Nous sommes une banque responsable et nous sommes une banque de notre époque ».

Qu’entend-elle par une banque de notre époque ? C’est quoi, notre époque ? A regarder mon compte en banque d’homme seul, il y a pas mal de zéros de différences entre mon époque à moi et le notre époque de la Société générale. Seule certitude, celle d’être embarqué dans des temps sidérants, à faire bégayer les chiffres et le titre de « Libé » (les deux « à »): « Kerviel n’aura pas à 4,9 milliards à régler ». Moins que 4,9 milliards, il reste de la marge ; les médias se sont pourtant satisfaits d’une promesse aussi vague.

Plus surprenants encore, les commentaires du « Monde » (également de « Libé »). L’éditorial  du 7 octobre, _« sur le sens d’un jugement »_, manifeste un respect de l’ordre établi et des procédures assez nouveau, à gauche du moins. Finis les effets de manche idéologiques. Soyons réalistes, demandons le possible, si maigre soit-il. « La justice n’a peut-être pas rendu le verdict dont l’opinion rêvait. Est-ce une raison pour la qualifier d’inique ? ». Les magistrats, argumente l’édito, ont jugé sur le pénal, en professionnels. On peut s’agacer de voir la Société générale sortir blanchie mais ce n’est pas vrai. La banque a déjà été condamnée, lourdement, par la commission bancaire pour défaillances dans ses systèmes de contrôle. Son président Daniel Botton a été viré, il en aurait même fait une dépression nerveuse. Ajouter à la perte de 4,9 milliards d’euros la perte de crédibilité, l’image désastreuse,….

Maître Olivier Metzner, l’avocat de Kerviel, a commis une ERREUR DE COMMUNICATION, faute qui à une époque trempée dans les émotions et les images est presque moins pardonnable que le délit commis. « Jérôme Kerviel, l’abus de confiance », titre la page trois. Surtitre : « Ce devait être David contre Goliath, le procès d’un jeune trader victime d’un système défaillant. Mais en jouant l’opinion, le prévenu a perdu les juges ». Plutôt que de battre sa coulpe, le trader s’est répandu dans les magazines people. Il s’est posé en victime dans un livre, sorti avant le procès, « l’Engrenage ». (« Flammarion, 268 pages, 19.90 euros »), précise Pascale Robert-Diard, manière fleuretée de faire comprendre que ce type qui, après avoir brûlé 4,9 milliards et mis en danger les emplois de 140.000 personnes, vend ses salades à 19.90 euros l’exemplaire, est définitivement indécent.

La posture du « Monde » est courageuse. Son argumentation a fait un flop total auprès des lecteurs. Dans le courrier de l’édition du week-end, ils s’indignent d’un verdict « déplorable », « ahurissant », « aberrant », « dés pipés » qui accable un pion et innocente ces pousse au crime qu’ont été les dirigeants de la banque  Quelle épouvantable époque ! PG