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Comment l’attraper?  Par quel bout harponner celle dont la rhétorique est un discret copié-collé de la sémantique paternelle, à la nuance près que l’emballage, aux teintes pastelles, n’est plus couleur vert de gris? On s’y perd, car elle berne son monde, bouleverse nos repères et ballade une profession désemparée, que maîtresse Marine tient à bout de gaffe d’une main experte.

Car c’est un fait: Marine Le Pen défie toutes les lois de la gravité journalistique. Intraitable, insaisissable, la pasionaria du FN, qui fait une redoutable machine médiatique face à des intervieweurs pourtant roués, glisse entre les mains de tout un chacun, comme une savonnette au fond d’un évier. Si les outrances et les provocations de Jean-Marie Le Pen permettaient aux journalistes vedettes de télés ou de radios, de s’offrir une minute de bravoure à bon compte, en allant ferrailler avec  celui qui vous apportait immanquablement sur un plateau matière à s’offusquer, le style Marine déconcerte et désarçonne. Si propre, si lisse, si décomplexée.

Commentant les résultats des dernières élections régionales, la présidente du FN expliqua ainsi sur les antennes que le succès de son parti à Carpentras _ une ville où furent profanées 34 sépultures juives, le 9 mai 1990 _ avait valeur de «symbole ». On aurait souhaité qu’elle approfondisse son propos et que des journalistes aillent la tisonner sur l’un des épisodes les plus sombres de ces dernières années. Mais rien. Personne n’est allé là où une légion serait montée à l’abordage pour aller asticoter Jean-Marie Le Pen, avec l’assurance -ou le secret espoir- de le voir dégoupiller et franchir une nouvelle ligne jaune.

Ce que ne fera pas Marine Le Pen que les journalistes ont tord de vouloir entraîner sur un terrain et des thématiques qu’elle maîtrise comme peu,  – l’immigration, l’exclusion, la nation… -, tant le discours est ciselé, matelassé, rodé et ourlé de finesse, comparé à la sémantique montée sur chenilles de Le Pen, père, dont elle est pourtant l’ombre portée.

Si une large frange de l’opinion française semble aujourd’hui décomplexée face au vote FN, c’est parce que celle qui incarne le Front National affiche un discours dont la forme, l’emballage, est en rupture totale avec celui de son prédécesseur. C’est ainsi qu’il va falloir à la profession opérer un virage à angle droit et douloureux pour certains: accepter d’interroger la présidente du FN comme un dirigeant politique classique. Ne pas la cantonner à sa caricature et accepter de l’interroger sur les questions du moment avec pugnacité et précision: qu’il s’agisse du bouclier fiscal, de la crise libyenne, du rôle du FMI ou encore de la réforme des retraites. C’est à dire, là où les Français l’attendent et là où les journalistes parviendront peut-être à briser l’armure et à mettre l’intéressée en difficulté.

Ce qu’est presque parvenu à faire Jean-Pierre Elkabbach dernièrement, sur Europe 1,  en décidant de sortir Martine Le Pen de son jardin, pour l’amener là où elle semble moins à l‘aise, c’est à dire sur des questions moins polémiques, moins abrasives,  et plus terre-à-terre : l’économie, dans ce qu’elle de plus technique ou la géopolitique, dans ce qu’elle de plus complexe.

Car ce n’est pas en l’ostracisant ou en caricaturant dans les médias le discours de celle à qui les sondages promettent un été 2012 radieux, que l’on réglera la question du FN, devenue ce caillou dans la chaussure de notre démocratie qui nous fait claudiquer.