Débat autour de la loi Hadopi, fermeture du site de partage en ligne Megaupload sur fond de guerre numérique…La semaine écoulée a été riche et rarement l’industrie du web n’avait n’avait à ce point attisé les débats. Spécialiste des médias et directeur de NPA conseil, Philippe Bailly vient de publier ce week-end cet article qui revient sur ces deux chapitres. Une contribution au débat que je vous livre…
Les symboles ont la vie dure. Il en est ainsi de l’Hadopi, autour de laquelle se cristallisent les débats touchant à l’évolution de la gestion de la propriété littéraire et artistique dans le nouvel environnement numérique. D’une façon souvent caricaturale, malheureusement, quand l’importance du sujet mériterait une approche plus posée.
Ces derniers jours, par exemple, l’UMP a ajouté à sa série d’animation Kikadikoi (http://www.youtube.com/watch?v=Pyv4YkGIlhY) un épisode destiné à pointer les incohérences des propositions du camp socialiste sur le maintien – ou pas – de l’Hadopi ; de leur coté, les partisans de François Hollande auront beau jeu de rappeler les divisions de l’UMP sur la loi Hadopi, l’opposition bruyante et les votes « contre » des députés Lionel Tardy, Alain Suguenot, François Goulard, Denis Jacquat, Franck Marlin et Christian Vanneste, ou encore la façon dont le gouvernement avait été battu par sa majorité à l’Assemblée Nationale, en décembre 2005, lors de la discussion sur l’ancêtre de la loi Hadopi, la loi DADVSI.
Hadopi : un enjeu électoral mineur
Décalage générationnel ou culturel par rapport aux « digital natives » ? La difficulté des politiques à « caler » leur discours par rapport à l’Hadopi doit certainement à la complexité du débat technique et juridique autour des différents modes de consommation illicite – téléchargement, streaming, peer to peer… Et il n’est certainement pas sans arrière pensée électoraliste : une crainte de s’aliéner le « vote jeune » par une position trop ferme… que la consultation des études d’opinion régulièrement publiées sur le piratage devrait pourtant permettre d’écarter : au-delà du bénéfice d’opportunité que peuvent trouver les internautes à consommer gratuitement les contenus accessibles de façon illicite sur Internet, la conscience qu’il s’agit là de pratiques anormales, donc temporaires, reste apparemment bien ancrée, et la mise en œuvre de dispositifs – proportionnés – visant à les combattre ne constitue pas un thème de mobilisation significatif.
Selon un sondage réalisé en juillet 2010 par l’IFOP (http://www.ifop.fr/media/poll/1227-1-study_file.pdf) , 69% des Français se déclaraient prêts à renoncer au piratage en cas de mise en œuvre de la « réponse graduée », et 66% s’y préparaient même dès réception du premier mail d’avertissement ; les études réalisées à l’échelle internationale convergent depuis plusieurs mois sur le recul de la consommation en peer to peer ; et on a eu l’occasion sur ce blog (http://blog.lefigaro.fr/philippe-bailly/2011/06/campagne-hadopi-netflix-conforte-faible-mobilisation-du-parti-pirate.html) de relever la très faible mobilisation – moins de 2 000 signatures – de la pétition lancée au printemps dernier par le Parti Pirate, contre la campagne de communication de l’Hadopi. Faut-il vraiment s’étonner que le positionnement des partis et candidats sur l’Hadopi ne représente pas pour les jeunes un déterminant central, alors qu’ils sont également aux prises à des interrogations majeures concernant leur accès à l’éducation, à l’emploi et au logement, l’avenir des régimes de protection sociale, les enjeux géopolitiques et environnementaux ?…
Ne pas confondre cadre légal et structure
Ramener l’Hadopi à ses – faibles – proportions dans la formation des votes devrait permettre aux gouvernants – et à ceux qui aspirent à les remplacer – d’appréhender de façon sereine les questions posées par l’évolution des usages et des modes de consommation des œuvres. Que cette réflexion conduise à « proposer une nouvelle loi » comme le suggérait François Hollande dans son discours de Nantes (http://francoishollande.fr/actualites/discours-de-francois-hollande-aux-biennales-internationales-du-spectacle-a-nantes/) ou à envisager une « loi Hadopi 3 », selon la formule de Nicolas Sarkozy lors de l’installation du Conseil National du Numérique (http://www.elysee.fr/president/les-actualites/discours/2011/installation-du-conseil-national-du-numerique.11256.html) apparaît plus productif que le seul slogan « d’abrogation », qui a de surcroit l’inconvénient de mélanger deux notions : le cadre légal en vigueur, d’une part ; la structure telle qu’elle fonctionne depuis le début 2010, de l’autre.
S’agissant de cette dernière, ses effectifs (70 personnes, contre 104 à la Halde, 129 à la Commission de l’énergie, 153 à la CNIL ou encore une centaine auprès du Médiateur de la République) ou son budget (13 M€, trois fois inférieur à celui du CSA) ne paraissent pas disproportionnés au regard des activités dont elle doit contribuer assurer la pérennité dans le monde numérique (chiffre d’affaires de la vidéo : 1,4 Md€ en 2010, de la musique enregistrée : 550 M€…). De même, la prudence avec laquelle est mise en œuvre la « réponse graduée » (plus d’un million de mails envoyés, mais encore aucun internaute déféré devant les tribunaux à fin de sanction) apparaît bien éloigné du dispositif ultra répressif qu’elle est supposée représenter. Si on met en regard les sanctions aujourd’hui encourues (1 500 € d’amende) avec les poursuites en contrefaçon qui s’appliquaient auparavant, pour un quantum de peines de 300 000 € et 3 ans d’emprisonnement, plus encore.
Qu’une évolution du sigle apparaisse un jour opportune pour marquer symboliquement une nouvelle étape dans le dispositif de gestion des droits de l’ère numérique, peut être. Qu’une « abrogation » se traduise par la suppression même de la structure, donc par la nécessité de mettre sur pied une nouvelle équipe, de nouvelles procédures, un nouvel outil informatique… semblerait plus hasardeux.
Trois enjeux majeurs
Restent les questions de fond :
• L’évolution des offres et des modèles de consommation
• L’adaptation des dispositifs de rémunération des ayant droits
• L’attitude à avoir face à la piraterie.
La réaction des groupes de hackers après la fermeture de Megaupload éclaire opportunément ce dernier point. A voir la violence qu’Anonymous et autres ont déployé (attaques à peu près systématiques des sites représentant l’autorité) pour défendre une entité commerciale qui a fait de la piraterie une activité internationale, opérée de façon industrielle, hautement profitable, et qui n’a rien d’un groupement de gentils internautes, on se prend à penser à l’instrumentalisation de militants de bonne foi pour des dérives criminelles, comme d’autres objets (le FLNC par exemple) l’ont connu. On n’y voit pas d’autres réponses que la fermeté, et une coopération internationale dont le cas Megaupload a montré l’efficacité.
Mais parce que la solution à la piraterie ne saurait être que répressive, la mise au point d’une offre légale attractive et adaptée aux nouveaux usages du numérique est tout aussi indispensable ainsi qu’il a été déjà été souligné. Attractive en terme de disponibilité des œuvres, c’est pour le cinéma l’enjeu de la chronologie des médias et du resserrement du calendrier entre date de sortie en salle et présence au sein des offres de vidéo à la demande. Attractive en termes de capacité à accompagner l’internaute sur l’ensemble de ses terminaux, c’est la question de la distribution multi écrans et de l’organisation du « cloud ». Attractive en terme de changement de modèle de consommation, c’est la préférence croissante à l’accès à un très large catalogue d’œuvres (même temporaire car soumis à un abonnement, mais avec une consommation illimitée selon la formule « all you can eat » qui a par exemple fait le succès de Netflix), par rapport à la détention d’une bibliothèque personnelle – forcément limitée – de copies numériques (CD, DVD…). Et l’on peut encore ajouter, compte tenu de l’importance des enjeux culturels et économiques, attractive de la part des acteurs français, c’est-à-dire n’abandonnant pas les clés de l’univers numérique hexagonal aux géants de l’Internet américains, coréens ou nippons (Apple, Google, Samsung, Sony, Amazon ou encore Netflix).
Modifier le cadre légal ne constitue pas une condition suffisante pour réussir cette adaptation. L’exemple de la musique, première à avoir subi la vague numérique, mais aussi particulièrement performante aujourd’hui dans sa capacité à faire émerger de nouvelles offres (du téléchargement gratuit sponsorisé de type Beezik aux services sur abonnements premium à la Deezer ou Spotify) donne la mesure de la capacité des acteurs à prendre en main leur destin et à créer les conditions de leur propre réussite.
Qu’une loi soit nécessaire n’en paraît pas moins s’imposer, compte tenu des évolutions lourdes qui seront à organiser : mobilisation des professionnels pour poursuivre la réflexion sur la chronologie des médias, adaptation du régime de la copie privé à la montée en puissance du « cloud » (comment tenir compte de ce qu’il n’est plus fait de copie de l’œuvre sur chacun des terminaux utilisés, mais de ce que les œuvres sont jouées en streaming à partir d’un « gros disque dur », unique, localisé sur le réseau ?), et sans doute évolution des modes de rémunération des droits, compte tenu de la substitution – au moins partielle – de la détention de copies physiques des œuvres par l’abonnement à des catalogues intimement associés à l’accès aux réseaux (sans confondre licence légale – aujourd’hui appliquée en radio et respectueuse des ayant droits – et licence globale – qui conjuguerait pour eux déresponsabilisation et dépossession – et sans trop céder à la tentation systématique des taxes sur les opérateurs télécom dont les décisions de la commission européenne a montré la fragilité juridique).
Ajoutez une pincée obligée de réflexion commune au niveau européen : disparités fiscales et réglementaires entre Etats membres de l’Union européenne et capacité à faire contribuer les groupes installés en Irlande ou au Luxembourg à la création ne peuvent, entre autres, se trouver au seul plan national.
L’équation numérique mérite bien, décidément, une nouvelle étape. Qu’on la baptise Hadopi 3 ou d’un autre temps, mais en ayant en tête le plus large accès des internautes aux œuvres en même temps que la garantie des droits des créateurs.
PB
janvier 23, 2012
Pardonnez mais à l’intérieur d’un article fort intéressant, se trouve un parallèle bancal. Le FLNC n’a pas instrumentalisé des militants de bonne foi. Dès lors qu’il y a eu dérive criminelle début des années 90, ce qui n’est pas discutable, une véritable guerre a ensanglanté l’île. Si instrumentalisation il y a, c’est du côté de l’Etat, qui s’est bien gardé d’intervenir, prolongeant les meurtres pendant des années. Il a fallu beaucoup de remous internes et finalement le gouvernement Jospin avec le processus Matignon, repris courageusement mais maladroitement par Sarkozy, pour parvenir à y mettre un terme. Personne n’a oublié non plus l’instrumentalisation du préfet Bonnet qui a sciemment voulu relancer cette guerre, en laissant des tracts explicites appelant à la vengeance, suggérant des conflits d’intérêts. Si parallèle il doit y avoir à propos de Megaupload c’est plutôt l’instrumentalisation par les Majors qui créent les conditions d’émergence de ce type de site pour mieux les démolir avec la complicité des Etats, dont l’intérêt consiste à s’implanter dans la sphère internet. Pour ma part je pense que c’est Google qui n’a rien d’un gentil internaute, et qui a profité, qui profite encore du chaos juridique et de l’inertie des Majors en matière d’offre légale, avec notamment UTube qui héberge un nombre incalculable d’oeuvres sous droits, en toute impunité. Dans l’avenir, face aux dérives totalitaires des Etats qui légifèrent là où la liberté et l’innovation devraient être de mise, il ne fait aucun doute que des organisations du type Megaupload, aux frontières entre l’entreprise et le piratage, entre le légal et l’illégal, entre le service et le détournement, vont voir le jour. Si l’Etat se radicalise dans ses actions, ses lois et ses institutions liberticides, menées de façon patente par des Lobbys aux pratiques commerciales préhistoriques, la radicalisation du web se fera dans le même sens. Enfin, si l’impact électoral est perçu comme négligeable à court terme, l’incidence politique est, à mon sens, majeure et durable. Il n’y a qu’à voir comment les événements se sont accélérés avec la loi SOPA.
janvier 23, 2012
Je crois que cet article se trompe sur au moins deux points :
– ‘La faible importance de l’Hadopi dans le débat de société et dans le choix des électeurs’. En ce qui me concerne je trouve çà faux, tous les gens que je connais sont attentifs aux positions de chaque candidat sur cette question et ce n’est certainement pas un hazard si une des rares opinions connue de Marine Le Pen sur le sujet Internet est d’afficher sa double opposition à Hadopi et LOPPSI.
– ‘Le désintérêt des classes d’âges non-jeunes sur cette question’. Je crois que tout le monde jeunes et moins jeunes sont sensibilisés à cette question et il est frappant souvent de constater combien les seniors en 10 ans ont fait de progrès sur Internet et ont souvent désormais les mêmes usages que leurs enfants (hormis peut être certains réseaux sociaux et les messageries instantanées).
En conclusion, je comprends l’intérêt de l’auteur à vouloir minorer le poids de Hadopi dans le débat démocratique et à le marginaliser à une classe d’âge jeune, turbulente et qui de surcroît vote moins. Mais ce raisonnement artificiel ne trompe personne et aucun candidat ne fera l’économie d’une position claire sur Hadopi et sur sa suite.