«Le JDD de Sarkozy » : sous ce titre définitif, l’écrivain et journaliste Frédéric Martel, (photo) exécute, en quelques feuillets vitriolés, cet hebdomadaire propriété du groupe Lagardère. Estimant que «Nicolas Sarkozy a mis la main sur le titre depuis plusieurs années et continue de le diriger, indirectement, à tous les étages », l’auteur aligne ses principaux responsables. Or après avoir lu, en avant-première, cette chronique, vendredi, nous étions quelques-uns à estimer, à L’Express, que cette charge, peu étayée, ne méritait pas publication sur notre site. Frédéric Martel l’a donc mis aussitôt en ligne sur son propre blog, lequel est hébergé par L’Express.fr, ce qui nous vaut depuis ce matin une menace de plainte en diffamation du JDD.
On ne peut pas reprocher aux responsables de ce journal de réagir ainsi : quelle rédaction accepterait de se voire accuser d’être à la botte du chef de l’Etat? D’autant que la charge au marteau pilon de Frédéric Martel est un concentré de raccourcis : elle rejoint ces éternelles allégations selon lesquelles le locataire de l’Elysée disposerait de relais zélés dans les médias, le JDD faisant lieu d’officine. En effet, il n’est de voir depuis 5 ans, à l’exception du Figaro, la tonalité d’une très grande partie de la presse française à l’égard du chef de l’Etat pour se convaincre de l’inexistence d’un tel réseau roulant comme un seul homme pour l’intéressé et d’une telle réalité, qui mériterait d’être un peu nuancée. Que d’anathèmes, en effet.
La démonstration, gros sabots, de Frédéric Martel relève en fait d’un raisonnement assez classique. Il ne suffit pas en effet de détailler l’organigramme d’un journal et d’écrire ce qui suit pour en tirer une démonstration. « Il » -Nicolas Sarkozy, « a un accès direct aux quatre principaux niveaux de direction : Arnaud Lagardère d’abord, son « frère » et le PD-G du groupe qui édite le JDD ; Denis Olivennes ensuite, qui coordonne la branche médias du groupe et veille tout particulièrement sur le JDD ; Jérôme Bellay, le directeur du journal ; enfin l’un des quatre rédacteurs en chef, le vrai chef du service politique, Bruno Jeudy. Par ce quadruple pilotage, Nicolas Sarkozy est le véritable patron du JDD ». Tous les hommes politiques de haut niveau ont un accès s’ils le souhaitent aux dirigeants des journaux. Mais « accès » ne signifie pas capacité à donner des ordres. Par ailleurs, le seul lien qu’on connaisse vraiment à Denis Olivennes dans la campagne actuelle, c’est notamment avec François Hollande (et Jean-Pierre Jouyet), dont il est l’ami depuis plus de 20 ans. Plus compliqué qu’il n’y parait donc. « Accès direct », encore : Christophe Barbier, à L’Express, est de ceux qui ont également un « accès » à Nicolas Sarkozy : L’Express est-il pour autant un tract de campagne?
Revenons sur la liste de Frédéric Martel et procédons par ordre. D’Arnaud Lagardère, on sait que ses relations avec Nicolas Sarkozy ne sont plus celles qu’elles ont été et dépeintes sous le stylo de Martel: le « frère» Arnaud n’est plus qu’un lointain cousin de province négligé. Le chef de l’Etat n’a jamais vraiment digéré les errements de Paris Match à son égard et « L’affaire Cécilia », mise à la Une de cet hebdo, en 2007. S’ajoute à cela le regard sévère que porte Nicolas Sarkozy sur la capacité d’Arnaud Lagardère à diriger un groupe de communication aujourd’hui sérieusement encalminé : la perspective de le voir prendre, en juin, les commandes du conseil d’administration d’EADS est dans ce contexte sujet à commentaires acerbes, du côté de l’Elysée. Et à aucun moment, ni Europe 1, ni Paris Match, ces derniers mois, n’ont servi de quelconque relais ou de levier pour le président-candidat. Lequel a démarré sa campagne, (radio), sur RTL, avant d’enchainer, la semaine dernière, sur France Inter.
Denis Olivennes, ensuite. Comment classer cette inclassable, aussi à l’aise dans les allées de la droite, que dans celles d’une gauche, dont il connait toutes les strates et les chapelles? Cet ancien directeur du Nouvel Observateur est d’abord un homme d’entregent, qui sera demain aussi proche de François Hollande, si l’occasion lui en est donnée, -parce que curieux des hommes et doté d’un épais carnet d’adresse-, que de Nicolas Sarkozy, aujourd’hui.
A écouter Europe 1, il serait archi-faux de dire que cette station, qu’il dirige, «roule» ainsi pour Nicolas Sarkozy : la ligne éditoriale de cette radio est d’une impartialité absolue. Et on pourrait même lui reprocher certains matins, et à la marge, un agaçant déséquilibre à droite, tant les éditos d’Olivier Duhamel portent l’estampille de la rue de Solferino. Quant à poursuivre Elkabbach, régulièrement étrillé, à gauche, l’exercice est devenu d’un tel systématisme, que cela en devient caricatural.
A propos de Denis Olivennes, on peut lire, toujours : « Olivennes veut-il jouer sur les deux tableaux ? « C’est possible. Il est plus pragmatique qu’idéologique. Denis Olivennes haïssait Martine Aubry c’est vrai, il a tout fait pour l’empêcher d’être désignée à la tête du PS. Avec Hollande, c’est différent. Il a choisi Sarkozy mais il s’accommodera d’Hollande. Si l’écart persiste, énorme, entre eux, il est possible que le journal se recentre d’ici un mois », décrypte un proche d’Olivennes. Selon mes informations, Olivennes aurait même eu un repas avec François Hollande il y a quelques mois, en compagnie de leurs compagnes respectives (Inès de la Fressange et Valérie Trierweiler). Après tout Trierweiler est toujours journaliste de Paris Match, même si elle s’est mise, par anticipation, intelligemment, en disponibilités » Délire interprétatif…
Quant au JDD, puisque c’est le sujet, je me souviens qu’à l’hiver 2011, Paris bruissait d’une rumeur selon laquelle cet hebdomadaire s’apprêtait à faire la campagne de DSK, au motif que de Denis Olivennes à Arnaud Lagardère, en passant par Ramzy Khiroun, (le communicant de Lagardère et strauss-kahnien historique), l’ancien directeur du FMI disposait d’une phalange de soutiens fidèles. D’une rumeur, l’autre : DSK atomisé, revoilà « Sarko ». Dirigé par Jérôme Bellay, ce journal est donc aujourd’hui soupçonné d’avoir fait allégeance au chef de l’Etat.
Bellay, justement. Homme de radio talentueux, à l’origine, notamment, de la création de France Info, il est d’abord journaliste jusqu’au bout des ongles: un être rustique, un brin bourru, certes classé droite mais dont les opinions, là aussi, bien que souvent tranchées, en privé, n’ont jamais déteint dans les médias qu’il a dirigé, Europe 1 notamment. Martel enfonce le clou : « Jérôme Bellay (…) Ancien directeur de France Info, de LCI et d’Europe 1, c’est un professionnel reconnu. Tout le monde souligne son talent pour savoir « capter l’opinion » et salue son sens de l’actu. Mais c’est aussi un sarkozyste convaincu. On peut même dire un sarkolâtre ».
Quelle preuve ? Jérôme Bellay est connu pour être un ours qui ne fréquente ni les politiques ni les décideurs en général. Personne ne l’a jamais accusé d’être partisan ou inféodé. Il est le producteur de « C dans l’air », émission parfaitement pluraliste animée par Yves Calvi (dont personne ne connaît les opinions) et de « C Politique », animée par Nicolas Demorand (pas spécialement sarkozyste !), puis Géraldine Mulmann, (connue pour être de gauche).
Quant au service politique du JDD, il est incarné par Bruno Jeudy, dernière cible de Martel. Là encore, ce dernier a une excellente réputation dans ce métier : ses interventions, notamment sur le plateau du Grand Journal, sont toujours empruntes de justesse et de nuances : faudrait-il pouvoir démontrer de supposées compromissions pour le taxer, lui-aussi, de « sarkozyste». Mais, rien. La référence par Frédéric Martel à un sondage publié par le JDD, datant de février dernier, évoquant une situation qui verrait Marine Le Pen absente du prochain scrutin, -« Sans Le Pen, Sarkozy fait jeu égal avec Hollande»-, donne ainsi à l’auteur l’occasion d’y voir une manipulation, une manœuvre « pro-sarko ». Alors que la question d’une non-candidature de la présidente du FN, qui rebattrait les cartes à droite, se posait alors et se pose encore.
A propos de Jeudy on peut lirer encore ceci : « Selon mes informations, écrit Martel, Bruno Jeudy et Fabien Namias, rédacteur en chef à France 2, devaient publier en 2012 un livre d’entretiens avec Nicolas Sarkozy, mais le projet a capoté au dernier moment. Jeudy et Namias ont-ils été placés à leurs postes, sous la pression de Sarkozy, pour la présidentielle ? On le dit – sans que personne ne puisse en apporter la preuve ». Accusation sans preuve. En effet.
Autre passage, à propos d’une « interview controversée de Kadhafi aux sondages qui disent généralement ce que le Château aime entendre – non pas tant Opinion Way, comme le Figaro, mais l’IFOP, l’institut historique du JDD actuellement sur une pente glissante –, il n’est pas besoin d’être journaliste pour décrypter l’ultra-sarkozysme des articles publiés ». En quoi cette interview de Kadhafi, qui disait du mal de Nicolas Sarkoy, aurait pu faire plaisir à celui-ci ? Quant à l’IFOP et ses équipes, leur professionnalisme et leur indépendance sont indiscutables.
C’est ainsi qu’à aucun moment dans ce papier, Frédéric Martel apporte le moindre élément factuel de nature à nous ébranler. Faut-il rappeler, au passage, que proche de Martine Aubry, dont il est du premier cercle, Frédéric Martel est de ceux qui ont alimenté les argumentaires de la première secrétaire du PS, quand celle-ci ferraillait avec François Hollande? Faut-il en tirer des conclusions ausi hâtives que les siennes? Et en délicatesse avec ce dernier, Martel tenterait-il aujourd’hui, par ce biais, et via cette charge, de recoller au favori des sondages à la présidentielle ? Et de faire oublier ses «années Aubry»? N’ayant aucunes preuves, je me garderai de l’affirmer.
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mars 5, 2012
Bonjour Christian Revel,
Pensez-vous qu’Yves Bellay puisse influencer Jérôme Calvi ?
mars 5, 2012
P.S. J’ai oublié : saluez Renaud Barbier de ma part :o)
mars 5, 2012
Jérôme Calvi ?
Une erreur digne d’un blogueur…
mars 5, 2012
Bravo! Monsieur Revel de nous informer et de remettre quelques pendules à l’heure . Sont-ils devenus fous? je parle en général de ceux de gauche et médias associés ,que la victoire supposée et annoncée par les sondages monte à la tête . Quand une embûche se met en travers de leur route toute tracée( comme autrefois avec DSK), ils nous servent la théorie du complot à toutes les sauces . Plus dure sera la chute si leur vénéré candidat se prend les pieds dans le tapis et n’est pas élu. …ça promet un beau bordel.
mars 5, 2012
Comment classer cette inclassable ?
martel se relit… lui
sinon aucune preuve
http://www.logilangue.com/public/Site/clicGrammaire/AucunAccord.php
mars 5, 2012
Votre billet est ridicule et cache surtout une autre guerre : celle des journalistes attitrés qui ne souhaitent pas être concurrencé par des blogueurs.
Seulement, la vérité est que votre travail n’est souvent pas meilleur.
mars 5, 2012
La véritable question posée par le cas Martel n’est pas tant le bien fondé de ses critiques envers le JDD et de savoir s’il est bien ou non à la solde de Sarkozy, mais bien plutôt de savoir si l’on peut publier ce que l’on veut sur un blog hébergé sur un journal, qu’on en soit le collaborateur ou non… Cela donne un relief particulier au débat introduit il y a plusieurs mois par Mettout sur le statut des blogueurs… Dans lequel il n’y a pas que la rémunération du travail qui compte, mais également une chose inappréciable et non monnayable, manifestement : la liberté… Manifestement antinomique d’une rémunération ou d’un lien de subordination quel qu’il soit. je ne suis spa prêt de sacrifier ma liberté pour plus d e notoriété… Quand bien même j’y perdrais quelques lecteurs. L’essentiel est bien là : pouvoir dire ce que l’on veut. Et l’affaire évoquée ici en dit de surcroit bien long sur l’insulte qui consiste à se retrouver sous la botte de notre (si petit…) gouvernant. Le monde des journalistes se préparerait-il déja à l’alternance,e t ce qui fait porter plainte à Olivennes ne serait-il pas plutôt son propre sort, et à celui de son journal ? Déja peur de l’épuration ? :)…
mars 5, 2012
Quoiqu’en disent les grincheux , gauchistes sans doute, il était important pour votre journal de faire ces clarifications.
Car il est toujours aisé de d’insinuer, sans donner de preuves, l’important pour certains étant de salir, même des confrères, ce qui ne les grandit pas. Merci, monsieur Revel
mars 5, 2012
« Il est le producteur de « C dans l’air », émission parfaitement pluraliste animée par Yves Calvi (dont personne ne connaît les opinions) »
Cette seule phrase suffit à décrédibiliser tout le reste tant les plateaux de Calvi sont déséquilibrés et ses opinions politiques évidentes.
mars 5, 2012
J’m’d’mandais à quel moment quelqu’un de censé allait évoquer ce point.
Exemple, combien de fois le très neutre sarkoflic Alain Bauer a été invité en tant que spécialiste de la sécurité jugeant des résultats de la sécurité sous Sarkozy dont il est un conseiller sur ce sujet ?
Ne pas se douter des penchants politique d’Yves Calvi, c’est ne pas connaitre son boulot de journaliste ou pire mentir dans son papier.