La Société des Journalistes du quotidien La Provence revient, au travers d’une tribune, sur le rachat de ce quotidien par Bernard Tapie. Et dresse le bilan du « Provence bashing », dont elle se dit avoir été victime depuis quelques mois.
Le décembre 2012, Bernard Tapie devenait co-actionnaire de La Provence. Et il faut croire que c’était bien fait pour nous. Déclaré de manière péremptoire « en voie de putréfaction » (le nouvelobs.fr), notre journal ne méritait que ça ont tranché d’éminents confrères. Les 198 « journalistes institutionnels » que nous sommes ne pratiquent-ils pas « avec les élus et la police une endogamie qui ferait rougir à Paris? » (lenouveleconomist.fr)? D’ailleurs, « personne n’a souvenir d’un scoop dans la Provence », assènent ces mêmes contempteurs, s’évitant d’admettre que leur plume serait bien sèche et leurs feuilles bien minces sans les informations qu’ils y pillent chaque matin. La Provence, donc? « Une institution locale au sens administratif, pas admiratif », raillent-ils. Et quand Olivier Mazerolle arrive aux commandes de la rédaction, les mêmes trouvent un nouveau visage à leur mépris, proclamant « le triomphe du journalisme de bistrot ».
Passons sur le ton suffisant, examinons la critique. Oui, nous sommes lus tous les jours dans les PMU de quartiers et les bars de village, comme dans des milliers de foyers modestes ou plus aisés, les transports en commun, les universités et les entreprises, comme partout sur la carte d’un vaste territoire que La Provence sillonne chaque jour, jusque dans ses infimes recoins et ses plus humbles histoires. Nous en tirons plus de fierté que de doutes sur notre capacité à fournir une information de qualité au plus grand nombre et la conviction qu’il n’y aura jamais de bons et de mauvais lecteurs, que des élites ne sauraient s’arroger le monopole du droit à l’information. Or, bien loin de ces bistrots où des journaux se lisent encore, des confrères se complaisent à dénigrer notre travail et notre mission. Ces causeurs qui se sont rêvés en pamphlétaires et se réveillent en blogueurs avides de notoriété se trompent de cible et de combat. A force de tweeter pour bâtir une futile popularité, à force de racoler sur Facebook pour se persuader qu’ils sont célèbres, à force de mélanger les genres, ils contreviennent aux principes d’objectivité, d’analyse, de recoupement, d’enquête contradictoire et de respect des sujets qui fondent notre métier de journaliste. Personne ne devrait ainsi jouer la course à la popularité contre l’information populaire.
Est-ce le dernier jeu à la mode: le lynchage médiatique des confrères?
A-t-on si peu à proposer pour se réfugier dans une critique creuse et obsessionnelle qui n’admet pas le débat. Dommage. Car une vraie réflexion sur notre profession, à un tournant de son histoire et à un moment clef pour la redéfinition de son rapport au lecteur est nécessaire. Parce que oui, il existe une presse quotidienne régionale dynamique, vivante et de qualité. Celle au vilain nom de PQR qui n’a pas, qui n’aura jamais à s’excuser d’être « populaire », de traiter au quotidien l’information de proximité, dans toute ce qu’elle raconte de la vie d’une cité, d’une région et de ses acteurs.
Cela vaut pour les métropoles européennes comme pour leurs banlieues ou les villages plus lointains, pour les grandes enquêtes et reportages jusqu’au filet quotidien de plus petites informations publiées au service du lecteur. Ces petites infos, au passage, deviennent bien souvent les gros titres de la presse nationale, sous la plume alors moins dédaigneuse de ces « bons journalistes ». Ceux-là même qui n’hésitent pas à se servir dans nos pages quartiers, à requérir notre aide, à se faire soudain hypocritement aimables pour obtenir nos contacts, à vampiriser les témoignages recueillis sur le terrain où personne ne les croise jamais. Ce mépris salit toute la famille des localiers. Il injurie nos lecteurs. Le patron du bistrot de la cité Campagne-Levêque à Marseille, le client du bar de Mazan dans le Vaucluse n’ont-ils pas le droit de savoir ce qui se passe à côté de chez eux, au motif que l’information fournie ne serait pas, à chaque ligne, une révélation ?
La PQR conserve cette force et cet honneur que lui jalousent sans doute ses injustes détracteurs : être une composante essentielle du vivre-ensemble et savoir en décrire au jour le jour les évolutions. Après, chacun fait son tri. Chacun est libre de ne pas s’en contenter. En cela, la PQR ne concurrence pas les nationaux, ne se confronte pas à leurs sites d’information ou blogs associés, mais par la connaissance parfaite de son terrain elle forme leur substrat. Il est vital ici de défendre sa mission et sa nature. Sans La Provence, sans Midi-Libre, sans la Voix du Nord, sans l’Union-L’Ardennais et les soixante autres journaux de PQR, qui passera du temps, conseil municipal après conseil municipal, à examiner la conduite des affaires d’une cité ? Qui fréquentera chaque jour les bancs d’une salle d’audience pour décrire l’évolution d’une société en sa vérité brute et nue ? Qui tendra l’oreille aux souffrances tues et offrira sa plume aux talents sans voix ? Vu de Paris, il ne s’agit peut-être que de problématiques de clocher. Mais pour les 17 millions de lecteurs de la PQR –le plus grand journal de France – la rubrique des « chiens écrasés » comme nos révélations sur les affaires politico-financières sont indispensables à l’exercice de la démocratie.
Ajoutons qu’en matière d’indépendance, les localiers n’ont de leçon à recevoir de personne. Les journalistes de La Provence s’efforcent, autant que les autres, de conserver leur liberté éditoriale. En région, comme à Paris, l’indépendance est un combat. Et une éthique personnelle.
Alors ne faut-il voir dans ces faux procès que de sordides règlements de comptes, sur fond de guerre des territoires pour le trafic… de lecteurs? De sauvages tentatives de décrédibilisation pour capter des annonceurs et les détourner vers des collègues en mal de recettes publicitaires ?
Bernard Tapie alimente les fantasmes. En dépit de ses dérapages, il devra être jugé sur la conduite de son projet et l’engagement qu’il a pris de respecter la liberté éditoriale des journalistes, tout comme ses semblables de la presse nationale, les actionnaires tels que Rothschild pour Libération ou Dassault pour le Figaro.
Et que se rassurent tous ceux dont les craintes à notre endroit s’expriment par la condescendance plutôt que par la confraternité: la rédaction de La Provence ne s’est vendue à personne.
Notre journal a survécu à bien des propriétaires. Comme l’ont écrit certains médias, soucieux, eux, du pluralisme de la presse, « Il serait dramatique de brûler la Provence avec Tapie « . Car, comme un bistrot de quartier, ce journal est, au fond, notre bien commun.
La société des journalistes de La Provence
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avril 29, 2013
Ex-journaliste, je défends la presse de terrain, le journalisme d’investigation, à l’opposé des petits procureurs parisiens confortablement assis et payés devant les caméras de télé ou dans leurs bureaux douillets, à courir les cocktails et les conférences de presse tels des courtisans ou des perroquets.