De la relation entre la classe politique et ses grandes figures, (locataires de l’Elysée ou Premiers ministres), et les journalistes…
Voilà des années que cette question, souvent taboue, revient inlassablement sur le tapis. Entre liens de connivence ou de consanguinité, maintes fois ânonnés et dénoncés, les journalistes politiques de ce pays ont souvent entretenu une relation équivoque avec cette matière. Il n’est de voir les réactions parfois vives que déclenche, depuis quelques jours, la publication d’un livre, (rédigé sous ma plume) où j’aborde, sans fards, ni faux-semblants, cet étrange attelage politique-journaliste. Et plus précisément, cette relation faite de fascination et de séduction réciproque entre quelques-unes des grandes hommes politiques, tous locataires de l’Elysée un jour, qui ont marqué l’histoire de la Cinquième République et une génération de femmes journalistes émérites.
Chacun feint aujourd’hui de s’étonner d’une telle transgression, d’un tel outrage, à la lecture de cet ouvrage, –Les Amazones de la République, éditions First– quand toute la littérature historique regorge de récits qui nous renvoient aux salons de la Quatrième République et au rôle joué par une légion de grandes mondaines et d’intellectuelles, à l’image de la célèbre marquise de Cruccoles, maîtresse de Daladier, qui imposa, en son temps, le maréchal Pétain au ministère de la Guerre…
Les femmes à travers l’histoire ont toujours joué un rôle éminent. Et certaines journalistes, depuis l’aube de la Cinquième République, ont souvent occupé une place prépondérante en lisière de leur métier. Au point que certaines d’entre elles, tombées amoureuses sur leur sujet, ont influé sur le destin de ces derniers. Pour écrire ce livre, j’ai du interroger une cinquantaine de mes consœurs, des plus capées aux plus novices. Et toutes m’ont confié cette alchimie toute particulière qui transcende les êtres, hommes et femmes, quand vous approchez l’Olympe, franchissez les grilles de l’Elysée et côtoyez le pouvoir dans toute sa quintessence. N’est-ce pas l’ancien secrétaire d’Etat américain, Henri Kissinger, qui disait que la politique et ses sphères formaient une « matière érogène».
J’aurai très bien pu écrire un tout autre ouvrage : Ramasser et compiler une masse d’anecdotes puisées dans les bas-côtés des alcôves de la Cinquième. La matière était là à portée de plume et elle ne demandait qu’à s’épanouir dans un livre sulfureux : de ces anecdotes à foison et à forts relents hormonaux qu’il m’aurait suffit de retranscrire, en masquant l’identité des intéressées. Facile.
J’ai préféré l’inverse : raconter Chirac, Mitterrand, Sarkozy ou VGE à travers un chapelet d’aventures, le plus souvent romanesques, vécues par une poignée de jeunes journalistes liées à la politique de manière gémellaire, et ce depuis l’aube de la Cinquième, pour certaines d’entre elles. Nombre de ces journalistes se sont confiées. Elles se sont racontées, parfois avec gourmandise et délicatesse. Et le plus souvent avec humour. Car derrière cette matière intime, se nichent parfois des histoires tantôt vaudevillesques, tantôt romanesques. Et toujours instructives, car en lien direct avec que ce que furent dans l’intimité certains des principaux locataires de ce lieu.
On pourrait se gausser d’une telle démarche journalistique, on pourrait arguer que folâtrer ainsi dans les bas-côtés de la politique est d’une vulgarité sans nom. Et que tout cela fait un livre d’une légèreté racoleuse. Invité de l’émission de Laurent Ruquier, -qui sera diffusée samedi soir sur France 2-, j’ai eu droit à une leçon de journalisme de cette sommité de la profession qu’est Aymeric Caron. L’échange fut vif. Et l’intéressé n’a pas admis que l’on puisse se pencher sur le destin d’une génération de journalistes liées à la politique de manière consanguine. Jusqu’à influer parfois et profondément sur les hommes, dont certaines épousèrent, par passion, le parcours. Rien de grivois, ni d’insultant dans tout cela: juste le reflet d’une époque et d’une profession aspirée, subjuguée, grisée, balayée, chavirée, par le pouvoir. Emportées dans un toboggan de mots et de sentiments, certaines de ces journalistes politiques, élevées à l’école de Françoise Giroud, reine de la ruche et préceptrice de toute une génération, se sont égarées dans les coursives de l’Elysée.
Si l’ouvrage est d’une cruauté sans nom pour une classe politique volontiers prédatrice, il ne l’est pas pour celles à qu’il serait indigne de reprocher d’être tombées amoureuses un jour d’un Mitterrand ou d’un Chirac. Quelles figures, en effet, à l’image de ce cliché qui résume à lui seul le propos.
Je leur rends donc ici hommage.
Reste le procès… Au nom du respect de l’intimité de tout un chacun, peut-on s’autoriser à évoquer de la sorte ce qui pourrait relever d’un principe de non ingérence? Le refrain est connu et la classe politique, – qui aime à instrumentaliser sa vie privée quand ça la sert-, comme les journalistes, brandissent cet argument avec un « fauderchisme » confondant. Patrimoine, fiscalité, moralité…Les journalistes sont les premiers à exiger des politiques une transparence absolue. L’époque est à l’inquisition. En revanche, le plus petit voilage levé sur les coulisses de notre profession déclenche une levée de boucliers. Comme si franchir pour une journaliste politique les grilles de l’Elysée, comme celles d’un simple square d’arrondissement, et pénétrer dans l’intimité de son locataire, était un acte anodin et sans aucune signification.
Dès lors que vous franchissez ce pas et que vous décidez d’approcher le locataire des lieux, jusqu’à en oublier le cadre et ce contexte, inévitablement votre statut change : vous n’êtes plus dans la sphère privée, mais bien dans la sphère publique. On ne franchit pas innocemment, impunément, le seuil de cet édifice sans en mesurer les effets et les risques encourus. L’Elysée est un miroir grossissant, un univers en trompe l’œil baigné d’un éther urbain, qui bouleverse les sens et affole nos boussoles internes. Tout change dès lors que vous vous y installez. Le visiteur se surprend à se trouver de l’importance. Et son locataire devient soudainement sexué. La fonction présidentielle transcende les êtres. Les regards changent. Et le plus ventripotent des hommes politiques, sur lequel aucune femme -ou homme- n’aurait trouvé le moindre charme la veille se retrouve pourvu des attributs d’un Don Juan dès lors qu’il embrasse la fonction. Ses propos de tribune de la veille, écoutés d’une oreille distraite, deviennent prophéties. Et sa silhouette, sa démarche, ses expressions, des sujets de commentaires.
L’Elysée est un Aventin aux vertus mystérieuses. Prenons le cas de Carla Bruni ou de Valérie Trierweiler. Les disques de la première, qui s’arrachaient du temps où elle n’était « que » chanteuse, sont tombés dans l’oubli dés lors qu’elle a embrassé le statut de Première dame. Oublié l’artiste. Quant aux écrits de la seconde, que personne n’avait vraiment lus, quand elle n’était que simple journaliste à Match, du moment où elle est entrée dans la vie de François Hollande, ils ont été épluchés, décortiqués, commentés et passés à la broyeuse.
C’est ainsi. Pénétrer à l’Elysée, c’est forcément veiller à son inconfort. Ne jamais s’imaginer que cet épicentre du pouvoir en France est un lieu que l’on peut domestiquer, apprivoiser. Et que l’homme qui y siège est celui-là même que vous pensiez connaitre quelques temps auparavant, avant que le verdict des urnes ne l’y parachute, le front serti d’une couronne invisible. Certaines parmi ces journalistes, dont je raconte le destin, sont tombées dans ce piège, où l’illusion règne et les mots, comme les gestes, prennent soudainement un autre sens. C’est oublier le poids de la charge, le bal des courtisans, la puissance du lieu, sa force symbolique. François Hollande a changé, disent ses plus proches. Et ce n’est sans doute pas une formule. Car ce président « normal» a été rattrapé par l’Histoire. Or certaines parmi les journalistes qui ont succombé à ce mirage sont tombées dans les chausse-trappes de ce château. C’est tout le propos de ce livre, dont l’auteur ne postule pas au Prix Goncourt. Juste le regard d’un observateur amusé du «circus-politicus ».
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juin 6, 2013
Votre livre porte le même titre qu’un article du Point publié en 2010.
Rigolo.
juin 9, 2013
je vous trouve d’ordinaire vif d’esprit. Je ne comprends pas ce qui vous a pris d’écrire ce livre. J’en ai lu quinze pages chez un ami, qui ne me le conseillait pas : C’est impossible à lire.
Ces récits de femmes, qui ne peuvent être que des proies sexuelles d’hommes de pouvoir, c’est vieux et sans intérêt. Inutile.