Elle trône dans mon bureau. Et c’est une photo que l’on rêverait d’avoir fait: l’image de la solitude d’une princesse posée sur la pointe d’un yacht, au large de la Sardaigne, à quelques mois de sa disparition dans le catafalque du pont de l’Alma.
Contextualisée, cette photo dit beaucoup de chose. Si bien que l’on pourrait presque bâtir une histoire autour. Or ce cliché, qui a fait le tour du monde, est celui d’un paparazzi : cette profession exécutée ce matin par Jean-Michel Aphatie, avec lequel je suis sur cette question en complet désaccord.
Le journaliste de RTL s’en est pris en effet vivement, ce matin, à l’exposition « Paparazzi! Photographes, stars et artistes » organisée jusqu’au 9 juin prochain par le Centre Pompidou-Metz. . « C’est une insulte aux valeurs que nous avons en commun. Le travail mis à l’honneur par ce musée national, c’est un travail de voleurs de photos que pratiquent des gens qui espionnent, qui fliquent et traquent des personnalités connues, qui arrosent d’argent des indicateurs sans morale, qui corrompent des gens faibles, qui mentent et truquent dès que ça sert leur petit commerce. Et c’est cela que l’on nous présente à partir d’aujourd’hui à Beaubourg-Metz comme un travail artistique « Que la honte soit sur les organisateurs ! », s’est emporté Aphatie.
Mais il est, comme dans bien d’autres métiers, de médiocres et de merveilleux photographes. Depuis les plus belles années de la Dolce Vita, l’univers des célébrités a toujours attiré une nuée armée de téléobjectifs: des paparazzi dont le travail participe du mythe et ce depuis des décennies. Par une attitude, une expression , une situation, dérobées, ces clichés, pris à la sauvette, sont souvent bien plus qu’un simple contrepoint: en fouillant l’intimité de tel ou telle, ils informent, nous éclairent, et livrent parfois des instantanées qui en disent bien plus que tous les reportages de la terre.
C’est ainsi que les plus belles photos de Monroe, Bardot ou encore, du couple Kennedy, ont été prises au débotté par des snipers d’une profession méconnue et le plus souvent vilipendée. Aphatie a tort de balayer de la sorte un exercice qui a souvent contribué à percer le mystère de telle ou telle personnalité. Car il s’agit là, qu’on le veuille ou non, d’un travail journalistique : brutal et intrusif, mais indispensable. Les célèbres photos de François Mitterrand et de Mazarine ont ainsi leur histoire. La genèse de ce scoop, dont l’ensemble de la presse française, – y compris, la plus noble-, fit ses choux gras, et l’utilisation qu’en fit ce président défunt, sont tout aussi intéressantes que le cliché en lui-même.
Ses plus belles pages, Match les doit à cette profession, à l’époque où cet hebdomadaire était au pinacle, quand Daniel Filipacchi et Roger Thérond en étaient les formidables patrons. Sans ces voleurs d’images, ce magazine magique n’aurait jamais connu cette renommée, ni ce destin. Gardons raison donc et évitons les discours définitifs.
Quant aux photos de François Hollande, prises rue du Cirque, que je sache, elles n’ont pas été balayées d’un revers de la main par les médias, si je m’en réfère aux exégèse à n’en plus finir qu’elles ont suscité : des colonnes du Monde au plateau du Grand Journal, où chacun y est allé de ses révélations et de ses analyse, en s’interrogeant sur le « cas Hollande».
Transparence, ou non, responsabilité du chef de l’Etat quant à la gestion de sa sphère privée, statut de la première dame, ,étanchéité, ou non, entre vie privée et vie publique : ce sont quelques-unes des nombreuses questions soulevées par la publication de photos qui ont, elles aussi, une signification, qu’on le veuille ou non. Même Jean-Michel Aphatie y participa pleinement, en y apportant sa part de réflexion et de questionnement. Cohérence oblige : au nom de sa charge contre cette profession honnie, il aurait été plus logique qu’il se refuse à rentrer même dans ce débat.
Il y a enfin quelque chose qui me dérange profondément dans cette sortie de l’ami Jean-Michel Aphatie, car s’en est un. Il n’y a pas pire dans une société que le secret et l’opacité. J’ai été pour ma part frappé par l’attitude, par les critiques et les remarques acerbes ou embarrassées, de nombre de mes confrères, suite à la publication des Amazones de la république, ce livre rédigé sous ma plume: une incursion dans les alcôves de l’Elysée, si bien fréquentées à travers le temps par quelques-unes de mes éminentes consœurs. Ignominieux! Quelle vulgarité! J’ai tout entendu. Les traversins de l’Elysée seraient-ils donc chose sacrée? Et notre profession si exemplaire, qu’il ne faille pas s’interroger sur ses dérives et pratiques?
C’est ainsi que dans un même élan corporatiste, la famille du journalisme politique s’est pincée le nez. Comme si cet étonnant mélange des genres entre des présidents pris de priapisme et une brochette de journalistes politiques en pleine confusion, n’avait pas de sens. Et que d’examiner notre République par ses œilletons les plus intimes relevait d’une démarche grossière et hors sujet!
Il y a de quoi être pantois ! Que l’on ne vienne pas s’étonner si les français ont une si piètre opinion d’une profession qui vit en vase clos, s’entreglose et s’auto-congratule, dans des réflexes de corps insupportables. Où le tutoiement avec les politique va de soi. Où les liens dépassent souvent les simples relations de connivence. Où la transparence est un leurre. C’est cela dont crève ce métier, Jean-Michel !Mais pas de quelques photos de paparazzis, dont il faut défendre l’existence. Au nom du pluralisme de l’information, tout simplement. Parce que les politiques, – surtout quand il s’agit du premier d’entre eux-, ont à l’égard des français un devoir de responsabilité et une obligation de transparence.
février 27, 2014
Ce dont crève votre métier, n’est-ce pas plutôt du manque de rigueur ?
Quand on voit des soi-disant journalistes relayer des informations non vérifiées, quand on voit des journaux qui préfèrent les secrets d’alcôve à leur mission d’explication (certes austère et moins vendeuse) du monde dans lequel nous vivons pour faire de bons choix politiques (en tout cas pour éviter les pires choix), il y a de quoi s’interroger.
Quand des journaux éminents laissent passer des textes visiblement non relus, bourrés de fautes d’orthographe et de coquilles, quand la syntaxe d’une phrase sur cinq est improbable (pour ne pas dire plus) et quand il y a des enchaînements logiques confus, comment le lecteur peut-il avoir confiance en une profession qui devrait manifester la plus grande rigueur, vu les enjeux qui en découlent ?
Les journalistes ont, peut-être autant que les politiques (parce que le sort de ces derniers dépend des journalistes plus que l’inverse) « un devoir de responsabilité » et une obligation de rigueur.