L’insolent et inexplicable succès d’audience de la Coupe du monde au Brésil oblige à s’interroger. Comment expliquer en effet que 20 millions de français, – soit plus d’un téléspectateur sur deux-, ont regardé le dernier quart d’heure d’un match de football entre la France et…la Suisse? Notre pays irait-il mal au point qu’ayant largué les amarres avec leurs institutions et les classes dirigeantes, nos concitoyens auraient décidé de soigner leur gueule de bois en célébrant ce veau d’or qui les emmena au Nirvana il y a 26 ans, en 1998?
Le football ne ferait donc que remplir un vide. Il serait l’âme d’un monde sans âme. La voix du Bien et du Vrai. Le point d’équilibre d’une société emporté vers le vide, à la dérive sur le fil du funambule. A Etat faible, clergé fort, a-t-on coutume de dire. Mais il faudrait compléter: A Etat faible, médias forts. D’une façon générale, plus le pouvoir politique est moralement faible, plus le pouvoir médiatique est influent. Et quel meilleur vecteur que le foot, -cet ecstasy aux effets placebo que les Français, champion du monde de la consommation d’anxiolytiques-, pour faire oublier la crise, nos pertes de repères et l’écroulement des autorités, spirituelles et autres, qu’étaient hier, entre autres, l’université ou les institutions régaliennes de ce pays.
Une France bien dans ses pompes ne plongerait pas à ce point dans de tels phénomènes d’hystérisassions. Une nation radieuse remettrait ce sport à sa place et ce spectacle à son rang.
Chaque sphère médiatique nationale est sensée avoir sa propre couleur. Or ici, avec ce Mondial brésilien, c’est une horloge unique qui rythme depuis 10 jours l’équilibre de sociétés prises d’ataraxie, toutes à l’arrêt et en lévitation. Oubliés en France, Suisse ou Hollande, les votes extrêmes et les réflexes de rejets à l’adresse des populations immigrées: le melting-pot des équipes nationales de ces trois pays,- où les poussées de fièvre populistes ont été plus fortes qu’ailleurs en Europe-, ne fait pas débat. Y compris en Suisse, dont l’équipe nationale est un bijou de mélanges ethniques, un pays où une majorité s’est prononcée récemment en faveur d’un durcissement des textes sur l’immigration. Et chacun, d’un bout à l’autre de l’échiquier politique, en France et ailleurs, adule aujourd’hui ce que certains rejetaient hier au détours d’une rencontre dans leur cage d’escalier. A entendre les français unanimes, nous serions 60 millions à vouloir héberger notre Mamadou Sakho.
C’est le miracle incompréhensible, mais salutaire, du foot : un sédatif à nul autre pareil, aux effets lobotomisant. Un fusible ou disjoncteur, qui désamorce et annihile les tensions. Un refroidisseur de crises aux effets thérapeutiques. Mais une œuvre de charlatans aussi, qui permet aux politiques d’escroquer l’opinion en lui faisant miroiter des lendemains chantants. A l’aune d’une Coupe du monde, dont l’équipe de France, orgueilleuse et combattive, sortirait vainqueur.
Que le réveil risque d’être douloureux.
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juin 24, 2014
26 ans ???? Après lecture de cet article je viens de me prendre dix ans.
juin 25, 2014
26 ans? Ben alors Renaud? On sait plus compter?