De quel bois ou de quel acier est-il fait ? Rarement dans toute l’histoire de ce métier, on avait vu pareille initiative. Car six mois après son retour de Syrie, où il eut à connaitre des conditions de détention particulièrement odieuses, le journaliste d’Europe 1 Didier François est reparti sur le front en Irak, terrain d’où il a envoyé ce matin un papier : un scoop en l’espèce, la présence sur le front syro-kurde de Forces spéciales françaises.
On peine à croire, en effet, que les traumatismes de ces longs mois de détention, ponctués par les exécutions de deux journalistes anglo-saxon, aient été gommés comme par enchantement chez ce journaliste, sitôt le pied posé sur le tarmac de l’aéroport de Villacoublay. Et on s’explique mal cette irrépressible attraction qui semble animer un reporter de guerre fuyant l’éther urbain pour renouer avec les effluves mortifères d’une région du globe déchirée par la guerre civile, si ce n’est une passion du métier chevillée au corps et à l’âme. On pensait que cette cruelle parenthèse avait définitivement châtié chez lui ce que beaucoup prenaient, à tort ou non, pour de l’inconscience. On devine simplement que ce garçon, qui n’a jamais souhaité raconter par le menu les sévices endurés durant sa détention, a donc su digérer à sa manière cet épisode de sa vie. Ou à défaut, lui donner peut-être une traduction métaphysique. Tout cela est de l’ordre de l’intime, de l’alchimie de tout un chacun. « L’incommunicable passé » écrit Francis Scott Fitzgerald…
Il y a quinze jours de cela, le directeur général de la station, Fabien Namias, est joint par le ministère de la Défense à Paris. Ses interlocuteurs lui confient que la France a depuis quelques jours sur le terrain en Irak des unités spéciales, et ce contrairement à tout ce qui était dit jusqu’ici, jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Volonté de maitriser d’inévitables fuites en ce sens, opération de déminage ? Sans doute. Et le ministère de proposer à un reporter d’Europe 1 de partir en Irak, là où notamment des soldats d’élite français crapahutent depuis plusieurs jours.
Fabien Namias s’en ouvre alors à Didier François. Lequel sans la moindre hésitation et mieux même, enthousiaste, se porte volontaire. « Bluffé », « estomaqué », le patron d’Europe 1 dit avoir « longuement hésité », partagé qu’il est entre la nécessité de protéger un garçon forcément marqué par l’épreuve qu’il a eu à traverser, et le désir de renvoyer sur le terrain un journaliste soucieux de ne pas conserver ce statut encombrant d’«ancien otage », au sein d’une rédaction qui se mobilisa pour sa libération.
Namias mettra une seule condition à son feu vert : que l’épouse du journaliste donne le sien. Ce qu’elle fit. C’est ainsi que Didier François fit discrètement son paquetage avant de s’en retourner non loin de la région où il endura un calvaire. On reste également forcément «bluffé »
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octobre 20, 2014
Article passionnant pour ce qu’il livre entre les lignes…
Donc, quand le ministère de la défense veut communiquer, ils appellent Europe 1 et on leur envoie un journaliste…
Le sujet, c’est aussi, peut être, un peu, comment exister quand les Américains ne vous laissent même pas occuper un strapontin…
On va écouter.