Il aura suffi d’un blanc, d’un silence, d’une hésitation, – un immense point d’interrogation suspendue au-dessus de sa tête comme à une corde de piano-, suivie d’une phrase, pour que Fleur Pellerin vacille. Pour que l’image ripolinée de cette jeune pousse de la « Hollandie » s’écaille et s’effrite. Avant le grand gadin. Vertigineux.
Invitée du Supplément, l’émission de Maïtena Biraben sur Canal+, la ministre de la Culture avoua au détours d’une question, qui n’avait rien de de piégeuse, n’avoir pas lu « le moindre livre depuis deux ans ». Cette aveu, qui laissa la journaliste et animatrice de l’émission plutôt circonspecte, venait après le récit par Fleur Pellerin d’un déjeuner « formidable, très sympathique » avec le Prix Nobel de littérature, Patrick Modiano, dont elle ne connaissait pas l’œuvre, à l’évidence. Et encore moins l’ouvrage nobélisé. « Je lis beaucoup de notes, beaucoup de textes de loi, les nouvelles, les dépêches AFP », invoqua pour sa défense la ministre : prisonnière d’un agenda chronophage, celle qui occupe aujourd’hui le poste qu’embrassa André Malraux a donc une relation fantomatique avec le livre. Certes.
Et alors ? Certains trouveront cela bien anecdotique. Si un ministre de l’Economie, tisonné par un Jean-Jacques Bourdin, peut ne pas connaitre le prix de la baguette de pain, pourquoi celui de la Culture devrait tout savoir de l’œuvre de tel ou tel écrivain? Ce serait leur prêter beaucoup de curiosité et de générosité intellectuelle que d’espérer qu’ils répondent à ces questions. Aux vertus que l’on exige d’un ministre, combien de directeurs de journaux ou de télévision, combien de journalistes, seraient-ils encore en piste, non d’une pipe !
Fadaises. La politique n’est pas un hochet. Et un maroquin ministériel n’est pas une charge anodine, dont on hérite sur sa bonne mine. Un de ces postes interchangeables que l’on se voit attribuer par cooptation, selon les règles d’un jeu de Taquet ou de chaises musicales. Ou encore, par la seule grâce de celui qui vous a fait roi ou reine. Quant au ministère de la Culture, il est une institution à part :une cléricature à nulle autre pareille dans l’appareil d’Etat qui suppose à sa tête bien plus qu’un pur produit de l’énarchie et de la méritocratie. Fleur Pellerin, qui n’a pas encore brûlé tous ses agios, n’est pas à ce jour la plus indigne sur l’échelle de Richter de ce ministère: quelques touristes, tels Philippe Douste-Blazy, Catherine Trautmann ou Aurélie Filippetti lui ont largement grillé la politesse.
C’est en tous les cas la démesure et la légèreté des médias que d’avoir mis en avant et en scène cette jeune génération de hiérarques, – le trio Macron-Pellerin-Vallaud-Belkacem-, vendue à partir de rien ou si peu. Cette vision « cosmétique » de la politique a quelque chose d’artificiel. Si bien qu’au premier virage un peu serré, au premier petit monticule, c’est l’embardée et le carambolage assuré. Ce qui s’est produit dimanche avec Fleur Pellerin instille, secrète, inconsciemment le doute et la distance.
En effet, quelle légitimité aura-t-elle demain après cet épisode pour dessiner et imposer, par exemple, les nouveaux contours d’une télévision publique aux enjeux culturels fondamentaux, un projet politique qui dépasse les simples aspects économiques ou de périmètre? Quelle légitimité pour esquisser ce projet de société, – un projet-citoyen-, qui doit sous-tendre la nouvelle organisation d’un audiovisuel public aujourd’hui coupé du pays? Ce dossier dont Fleur Pellerin s’est emparée.
La télé se moque des mécanos de géomètres, des constructions de haut fonctionnaires et aujourd’hui plus encore, des mirages du numérique: l’indigence du propos a conduit dans le mur plusieurs générations de hiérarques. 40 ans qu’ils glosent et échouent. A l’heure où la lecture, les arts, la création, la culture au sens le plus large du terme, deviennent affaire de prélèvement et de picorage, la télévision a un rôle éminent à jouer. Or pas un des locataires de la rue de Valois, depuis le passage de Jack Lang, n’a été en mesure de porter cette question.
C’est ainsi que s’érode avec le temps la crédibilité des politiques. Le doute ne porte pas sur la qualité du logiciel, – ces Formule 1 issues de la haute administration ont de la ressource et Fleur Pellerin a sans doute intégré le mode d’emploi. Mais sur leurs capacités à trouver les ressorts, les mots et le souffle. A porter un projet. C’est le seul combat qui vaille. En sont-ils capables?
octobre 28, 2014
Elle est encore jeune, elle pourra le lire plus tard.
octobre 29, 2014
Madame le Ministre de « la Culture et de la Communication » avoue sans vergogne et avec panache ! devant la France entière qu’elle n’a pas effeuillé un seul roman depuis deux ans, qu’elle a pipeauté une éloge lyrique autour d’un auteur et d’une œuvre jamais lus, qu’elle ignore encore tout de cet écrivain français nobélisé, pourtant rencontré en chair et en os, à l’occasion d’un « merveilleux déjeuner», et il faudrait de surcroît lui décerner la palme de la Franchise !
Du courage politique dans ce terrifiant aveu béotien ? Non ! Plutôt l’ultime convulsion d’un spécimen technocratique de la filière 100%-notes-de-synthèse, face à une si anodine question : « Quel est le livre de Patrick Modiano que vous préférez ? « ; à ce moment précis, Madame le Ministre de l’économie numérique téléportée à la Culture, n’avait d’autre choix que d’ôter le masque de son imposture.
Cette anecdote n’est ni un « non-sujet », ni un « faux débat », ni une « polémique stérile » mais, comme vous l’affirmez, un symptôme : elle révèle le long déclin du verbe et de la culture humaniste parmi ces techniciens falots qui nous gouvernent, incapables de faire vibrer le moindre caractère typographique tiré de la plus belle des anthologies. A pratiquer un discours aussi terne, aussi fade, cette énarchie s’étonne-t-elle de ne pas convaincre le Peuple ?
Pour paraphraser Mme le Ministre préposée-à-la-Culture dans son message félicitant P. Modiano : « C’est un jour bien triste pour la littérature et la culture françaises. ».
octobre 30, 2014
Tout ça pour ça ?
Je serais curieuse de savoir sur les 60 millions de français, le nombre de personnes qui connaissent Patrick Modiano ? Je ne parle pas de son œuvre, mais seulement de son nom et ce qu’il fait ? Rappelez-moi le nombre de livres vendus ? Nul n’est prophète en son pays !
Pourquoi faire un procès à une ministre (même de la culture) qui a certainement d’autres chats à fouetter que de lire le dernier opus de cet auteur, même nobélisé, même si elle a diné avec lui pour le féliciter.
Je ne suis pas certaine que Maïtena connaisse les livres de Modiano. Par contre elle doit être contente de son petit effet qui traverse la planète, ça c’est chouette ! plus que de connaitre le dernier titre de Modiano.
Le faire savoir est beaucoup plus important que le savoir !
octobre 30, 2014
@Bernie Spigol :
Vous semblez oublier que cette femme est ministre de la Culture! Un bon bagage culturel doit être le minimum pour prétendre à ce poste, non?
Votre sympathie pour Mme Pellerin vous aveugle.
octobre 31, 2014
@bertrand : J’espère qu’elle ne va se mettre à lire des romans ! Elle a autre chose à faire, elle, contrairement à nous.
La ministre de la Culture doit gérer une administration gigantesque qui la scrute à chaque décision, pérenniser un budget attaqué de toute part, « traiter » des égos comme on en trouve que dans l’armée et thématiser sur les enjeux culturels.
Ses prédécesseurs avaient le temps de lire? On a vu le résultat, notamment sur la question laissée en plan des intermittents !
novembre 3, 2014
Je préfère qu’un ministre de la culture bosse un maximum et délègue la lecture des livres pour se concentrer sur des dossiers.
Le reste n’est que… Littérature !