L’attribution d’une fréquence TNT en Ile-de-France est en train de tourner vinaigre, de virer même à l’explosif, depuis que le Conseil supérieur de l’audiovisuel a décidé de remettre au beau milieu des fêtes de fin d’année le dossier à plat et ses compteurs à zéro, après avoir retenu en juin dernier pour cette même fréquence la société Franciliennes TV/Telif au terme d’un appel d’offre on ne peut plus conforme.
Révoltés par ce qu’ils considèrent en privé être « un volte-face inacceptable destiné à remettre en selle le dossier du Figaro et de son actionnaire Serge Dassault», les actionnaires du projet, ainsi que les patrons des 7 chaînes locales d’Ile de France, partenaires de ce même projet de chaine d’information et de services de proximité, ont décidé de saisir les plus hautes autorités de l’Etat, « pour dénoncer aussi bien la manipulation qui vise à spolier FRANCILIENNES TV/Télif, que la tentative de récupération politique d’une chaîne prévue pour être apolitique, laïque, et au service de la diversité, conformément à la loi et au cahier des charges fixé par le CSA », ajoute-t-on.
C’est ainsi que dans un courrier adressé le 5 janvier au président du CSA, Olivier Schrameck, le président de Franciliennes TV, Christian Souffron, écrit :
« J’accuse, avec stupéfaction, réception de votre lettre du 28 décembre 2015 par laquelle vous nous indiquez la décision incompréhensible du Collège du 18 décembre visant à utiliser un argument non significatif pour relancer un appel à candidature restreint sur la fréquence TNT d’Ile de France pour laquelle Franciliennes TV a été présélectionnée le 24 juin 2015.
Vous semblez considérer que notre sélection ne serait plus valable au motif que les contrats d’objectifs et de moyens que les collectivités territoriales partenaires du projet doivent approuver n’ont pas été fournis. Dans la mesure où ces documents, destinés selon vous « à garantir le financement du service » manquent, le Conseil ne pourrait plus conclure la convention prévue à l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 avec la société Franciliennes TV.
De tels éléments d’explication ne justifient pas l’interruption de nos discussions pour finaliser la convention.
D’autant que notre dernier courrier du 4 décembre n’a reçu aucune réponse de vos services.
Le Conseil a choisi le projet TELIF de Franciliennes TV, parmi 13 candidats car il était le plus légitime, le plus original, le plus opérationnel, et sans doute le seul à répondre le mieux au cahier des charges très précis de l’appel à candidature : couverture du territoire, mutualisation des ressources, diversité des publics, traitement de l’information… Sa ligne éditoriale qui s’appuie sur le regroupement des 7 télévisions locales franciliennes et sa programmation ont la force de réunir Paris et sa banlieue, l’ambition même de les réconcilier, et de faire rayonner la région capitale bien au-delà de son périmètre, au niveau international.(…) Sur l’aspect financier, notre dossier présente un plan d’affaire réaliste et parfaitement sécurisé.
Nous disposons de moyens financiers significatifs dans le cadre des différentes augmentations de capital. Ces fonds propres, parfaitement conformes au business modèle qui vous a été présenté, nous permettent non seulement de lancer la chaine sans aucune difficulté dès le printemps prochain mais également d’envisager, dès à présent, l’acquisition de locaux à Paris dans le 9ème arrondissement, rue de la Grange Batelière (près de 1200m2), afin d’y loger une partie de nos équipes et d’y réaliser des studios. Des discussions très avancées sont en cours dans ce sens.
De la même manière, comme nous vous l’avons exposé lors de notre sélection, seule une part extrêmement marginale de nos financements, 250K€ à l’issue de la première année, soit à peine 6% du budget global, et 500K€ la deuxième année, repose sur une contribution des collectivités locales, dont 100K€ ont déjà été obtenus, ces derniers jours, par la signature d’un contrat de coproduction avec la Région Ile de France »
Interrogé, le CSA met en avant les risques d’insolvabilité du projet. Et le risque que celui-ci n’épouse à terme le destin de Numéro 23, cette chaine de la TNT encalminée au terme d’un carambolage financier qui a frisé le scandale. A ce jour, les actionnaires de TELIF n’auraient pas apporté les preuves d’un financement solide et pérenne.
« Faux ! », s’insurge l’un des actionnaires, le président de Capital Média et propriétaire du Nouvel Economiste, Henri Nijdam, ( photo)qui a également écrit à Olivier Schrameck en date du 8 janvier. «Outre l’augmentation de capital en cours à hauteur de 1M€, les principaux actionnaires ont confirmé, comme exprimé dans le courrier du 4 décembre 2015, écrit-il, qu’ils soutenaient sans réserve le projet et en particulier avait accepté, si vous en faisiez la demande, je cite « de s’engager par écrit », à pallier à un éventuel décalage, ou écart, sur la partie contribution publique qui pourrait résulter des circonstances exceptionnelles que nous connaissons tous, à savoir les attentats, les élections régionales et la réorganisation administrative des communautés d’agglomération. Un premier chiffre d’une enveloppe de 500K€ de compte courant associés apporté au titre de la sécurisation de ce poste sur les trois prochaines années par lesdits actionnaires a déjà été avancé dans le courrier Franciliennes TV/TELIF au CSA du 4 décembre, courrier demeuré sans réponse de votre part.
En tout état de cause, la part en question liée aux contributions publiques visée dans le dossier de candidature de Franciliennes TV/TELIF n’est pas significative en comparaison du budget annuel d’ores et déjà financé.(…)
Et Henri Nijdam d’ajouter, « Les sommes restant à contracter (quelques centaines de milliers d’euros) sont extrêmement modestes à l’échelle du projet d’une chaine ambitieuse couvrant une population de près de 12 millions de personnes et les différents contacts entrepris par Franciliennes TV/TELIF laissent déjà présager des contributions très supérieures aux objectifs fixés.
Par ailleurs, je vous rappelle que l’actionnariat de Franciliennes TV/TELIF qui vous été communiqué dans le dossier de candidature est composé des actionnaires suivants :
– Les CHAINES DE TELEVISION LOCALES (limitrophes de Paris), bloc majoritaire
– MEDIA CAPITAL associée à la société BRUNO LEDOUX HOLDING MEDIA (BLHM), GROUPE BARRIERE – LA SEETE, La CAISSE D’EPARGNE, La VILLE D’ENGHIEN, La SOCIETE AIGLE AZUR (GO FAST) et La SOCIETE VME. Mon associé Bruno LEDOUX, ( également actionnaire de Libération, NDLR), qui a déjà investi au travers de sa holding BLHM plus de 15 millions d’euros dans plusieurs médias depuis 2013 a proposé, par ailleurs, de financer, en sus de son apport conséquent en numéraire, l’acquisition d’un immeuble d’environ 1200 m2 en plein centre de Paris pour y loger la chaine et y animer son développement à l’échelle de l’ambition qui est la nôtre. Aussi, je me permets de vous réitérer, pour éviter tout nouveau malentendu, les termes du courrier que Franciliennes TV/TELIF a envoyé à vos services le 4 décembre 2015, à savoir que les actionnaires seront disposés à investir les sommes nécessaires dans Franciliennes TV/TELIF, pour pallier à tout éventuel décalage, ou écart, au titre des revenus provenant des contributions publiques tels qu’indiqués dans le plan d’affaires sur trois ans ».
Il semble ainsi que ce projet remplisse bien des conditions pour rassurer le CSA, notamment sur le plan financier. Ce qui n’est pourtant pas le sentiment exprimé Tour Mirabeau où le dossier TELIF est sur gril. En colère, ses promoteurs ciblent ostensiblement en privé le membre du CSA en charge du dossier, Nicolas About, un ancien élu de droite, ex député, puis sénateur des Yvelines, et colistier de Valérie Pécresse à la Région, d’être à la manœuvre: de soutenir le dossier (évincé) du Figaro.
Et c’est là où cette affaire prend un tour bien évidemment politique. Le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui l’a compris dès le premier jour, avait mis en garde il y a quelques mois de cela le CSA sur le risque qu’il y aurait à confier une telle fréquence à un groupe par trop marqué politiquement, – en l’occurrence à l’époque celui du Figaro de Serge Dassault. Ce alors que se profilaient à l’horizon les élections régionales et plus loin, l’échéance de la présidentielle de 2017 et des législatives qui s’ensuivront: Un argument reçu cinq sur cinq au CSA, où on avait alors fait le choix d’un projet apolitique et laïque.
Mais entretemps tout a basculé en Ile-de-France, où Valérie Pécresse s’est installée à la tête de la Région. Cette révolution de palais à l‘échelle d’une région aussi puissante ne pouvait pas rester sans conséquences, y compris dans le domaine de l’audiovisuel où les enjeux sont importants. En milieu de semaine dernière les dirigeants du groupe Figaro ont ainsi fait savoir au CSA qu’ils revenaient dans la course: un retour en force qui met le feu aux poudres. Il devrait voir Claude Bartolone, le Parti socialiste, ainsi que les élus de gauche de la Région, donner de la voix dans les tous prochains jours. Ce qui semblait être un dossier paisible au printemps risque fort de tourner à la polémique, de virer au bras-de-fer politique. Et de placer le CSA dans une situation extrêmement inconfortable.
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