La charge est venue d’où on l’attendait. D’Alain Juppé qui n’aura pas tenu très longtemps avant de craquer. Invité du Supplément, l’émission d’Ali Baddou, sur Canal+, l’homme s’est livré ce midi à une critique sur Le Petit Journal de Yann Barthes, émission qu’il accuse de « harcèlement ». Cette pique du maire de Bordeaux, par ailleurs grand favori aux primaires des Républicains, est moins anodine qu’il n’y parait. Car dans la bouche de celui que les sondages et un très grand nombre d’observateurs ont d’ores et déjà installé à l’Elysée, le propos prend une teinte toute particulière: une saillie qui rejoint celles d’autres responsables politiques, tel que Nicolas Sarkozy, pas moins sévère. Du classique, désespérant.
Voilà qui ne devrait pas faciliter les discussions en cours entre l’équipe du Petit Journal et la direction du groupe Canal+, où Vincent Bolloré aura de toute manière le « final Cut »: la décision finale.
Mais la question de l’avenir du Petit Journal, qu’Alain Juppé, qui n’a décidément pas changé, se paye à bon compte, pose plus largement celle du « clair » de Canal+ : des plages toutes vouées, peu ou prou, à disparaitre à court ou moyen-terme.
Les récentes déclarations, alarmistes, de Vincent Bolloré quant à une éventuelle fermeture de Canal+, dont les pertes s’accumulent dangereusement, sont naturellement qu’un pur effet de manche: une sémantique guerrière dont il a fait sa marque. Cette menace de l’industriel n’est que la traduction rude d’une volonté farouche de redresser au pas de charge une maison, (poumon du cinéma français et enjeu politique), dont il entend toujours faire le fer de lance de son groupe.
Du sang et des larmes: voilà ce que promet Vincent Bolloré si l’entreprise ne se résout pas à quelques sacrifices.
Mais si Vincent Bolloré, qui a eu le temps de faire le tour du propriétaire, a aujourd’hui une idée très claire de l’état de santé économique de la «maison Canal» et des économies qu’il reste à faire afin de remettre l’entreprise à flot, il n’en va pas de même du modèle qui reste à mettre en place pour permettre à cette même chaine cryptée de regagner des parts de marché. Et à terme de survivre, tout simplement.
Ainsi du débat qui oppose les tenants d’une large vitrine en clair, supposée attirer de nouveaux abonnés (et des annonceurs) à ceux qui plaident, comme Vincent Bolloré, pour un cryptage massif des programmes de Canal+, (au risque de les sanctuariser), voire de leurs suppressions pure et simple. Ce qui peut parfaitement s’entendre.
On sent bien que la pente vers laquelle tend l’industriel breton est de réduire la fenêtre en clair – et le programmes qui y sont diffusés – à leur portion congrue. Jusqu’à l’obturer? La question, qui n’a rien de tabou, peut en effet se poser si l’on estime que la survie du modèle économique de Canal+ passe par un renouvellement massif d’une offre 100% cryptée et payante.
Car le modèle Canal+ est aujourd’hui au bord de l’abime. La conjugaison du streaming et des offres comme celles de Netflix est en passe de balayer un groupe qui n’a plus les armes pour lutter. Pour la première fois de son histoire la chaine américaine à péage HBO, aux Etats-Unis, a vu ses recettes s’effondrer cette année au profit de Netflix: un bulldozer qui va investir en 2016 pas moins de 5 milliards de dollars dans la production de 32 séries originales. Quand Canal+ consacre à ce secteur, vital, moins de 300 millions d’euros par an.
C’est toute la stratégie industrielle de Canal+ et les moyens adjacents qui sont ici posés. Le rachat de l’une des plates-formes de Médiaset, l’empire audiovisuel italien de Silvio Berlusconi, n’est pas « la » bonne idée. Car additionner un parc d’abonnés italien et un parc d’abonnés français ne résout pas l’équation. On ne répond pas à la question: Vivendi est-il en mesure de bâtir un outil de production intégré de dimension mondiale, une manufacture capable de produire à des coûts compétitifs des séries susceptibles de fédérer le plus grand nombre en France et dans le monde? Vivendi a-t-il la volonté et les moyens de consacrer dès demain plusieurs milliards d’euros à la production de contenus exclusifs et à la sécurisation de droits sportifs devenus prohibitifs? Ce groupe aura-t-il les reins suffisamment solides pour résister et investir massivement, alors que toutes les digues sont en voie de céder avec cette déferlante venue des géants du net?
C’est ce débat-là qui est cruellement posé aujourd’hui et pas un autre. Il rend presque secondaire celui qui porte sur l’avenir du Grand et du Petit Journal. Et il rend plus dérisoire encore la très médiocre sortie d’Alain Juppé qui nous renvoie à l’époque où Premier ministre de Jacques Chirac il s’en prenait rageusement aux médias et aux journalistes.
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avril 25, 2016
C’est quoi cet article? On me parle pratiqement pas de Juppé, mais on consacre la quasi totalité de l’article à parler de Vincent Bolloré, dont la critique est claire et précise.
Le titre de l’article est complètement racoleur, sans trop de relation avec Le contenu.
avril 25, 2016
@ncoulet : tout a fait d’accord. un bon torchon qui n’a ni queue ni tete