Les médias sont-ils les relais dociles ou les porte-voix des forces de l’ordre et du ministère de l’Intérieur dans les affrontements qui opposent depuis plusieurs jours maintenant la frange radicale des opposants à la loi El Khomri à une police régulièrement lapidée ? TF1, France 2, BFM TV ou I>Télé seraient-ils les supplétifs de CRS ou de gendarmes mobiles devenus la cibles de groupuscules incontrôlés, sans maitres ni colliers? Un grand malentendu semble s’être en tous les cas installé entre une grande partie de ceux qui défilent contre ce texte de loi et des médias régulièrement pris à partie au nom de leur supposé alignement au discours sécuritaire ambiant. Dans un texte publié en début de semaine, le syndicat des journalistes SNJ-CGT s’inquiète de la multiplication de ces incidents : « De plus en plus de journalistes – des équipes de télévision en particulier – sont expulsés des cortèges par des manifestants, se font bousculer et voient leur matériel jeté à terre », écrit-il. « Jugés indésirables par une partie de ceux qui manifestent contre la « loi travail », ils sont considérés comme les porte-parole des pouvoirs politique et économique … et de la police.
Cette méfiance et cette défiance vis-à-vis de ceux qui font profession de témoigner doivent nous interroger. S’il n’est pas acceptable que des journalistes soient agressés alors qu’ils font leur travail, le traitement médiatique des manifestations, avec une focalisation sur les violences et les « casseurs » par les journaux télévisés, toutes chaînes confondues, pose question.
Comme si le gouvernement avait besoin d’auxiliaires pour décrédibiliser une contestation populaire majoritaire dans l’opinion de la loi travail. Le SNJ-CGT regrette que certains journalistes y contribuent par obéissance à leur hiérarchie, par réflexe sensationnaliste, par manque de recul, par négligence des principes professionnels…(…)
Et le SNJ-CGT de regretter « que dans certaines rédactions, les journalistes et leur hiérarchie aient l’indignation sélective à l’occasion des mouvements sociaux. Quand des portiques d’écotaxes sont détruits, les responsables ne sont pas des « casseurs » mais des « bonnets rouges » symboles d’une région en lutte. Quand, après une semaine de mobilisation des agriculteurs, le montant des dégâts se monte à 4 millions d’euros, on ne parle pas de casseurs, mais de « colère compréhensible » d’une population en souffrance ».
Indignation, mais curiosité sélective aussi….A ce titre, l’incident qui s’est produit hier à deux pas de la place de la République, qui a vu une voiture de police incendiée et deux agents légèrement contusionnés, a eu pour conséquence immédiate d’envoyer presque aux oubliettes le rassemblement organisé par l’ensemble des syndicats de policiers venus protester contre les violences qui leur sont faites ! On se marre. Course aux images, chasse aux casseurs : les cagoulés font recette à la télé. Ainsi, ce sont les plans de ce véhicule incendié, diffusées en direct puis en en boucle, que les chaines d’infos ont choisi de privilégier hier, quand à quelques centaines mètres de cet incident un parterre de policiers en colère manifestaient dans un quasi huis-clos médiatique ! Caricaturés en kermesse boy-scout, les rassemblements du mouvement «Nuit Debout» deviennent un sujet de quolibets récurrents sur les antennes (et sous la plume d’éditorialistes en treillis), où la doxa sécuritaire s’est confortablement installée. Les journalistes de 2016 découvrent la lune et ce que la rue a toujours produit depuis mai 1968 et bien avant : les casseurs décollaient déjà bitume et disaient vouloir « casser du flic» quand les reporters d’aujourd’hui biberonnaient. Vouloir réduire le traitement médiatique d’un mouvement social à quelques débordements d’enragés est inconcevable d’un point de vue éthique et déontologique.
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