Par Philippe Kieffer
Cela semble incroyable mais s’impose depuis des semaines comme une surprenante et affligeante réalité: dans son primaire empressement à en découdre avec elle-même, la gauche a jusqu’ici fait l’impasse sur tout ce qui touche aux domaines de la culture et des médias.
Négligence répétitive? Indifférence prolongée? Déficit d’idées ou de propositions? Occultation volontaire? Un peu de tout cela, c’est à craindre, car comment expliquer autrement l’oubli complet de ces sujets dont témoignent, jusqu’à présent, les grands débats télévisés ?
Plus de sept heures cumulées d’affrontement… et pas un mot, pas un souhait, pas la moitié du quart d’un micron de nano-proposition. Sommes-nous passés du temps pas si lointain de « l’exception culturelle » à celui, qui serait nouveau, d’une exclusion de la culture dans les débats socialistes?
Trois longues sessions de questions en rafales, et pas la moindre interrogation, pas le plus ténu commentaire, aucune suggestion concernant le rôle que jouent création, production, et diffusion d’œuvres culturelles dans ce pays que les postulants à la fonction suprême ne cessent de vouloir rétablir dans son rayonnement de « cinquième puissance mondiale ».
Sept candidats, n’ayant eu que leur volonté de « redresser » la France à la bouche et rien, pas l’ombre d’un projet, pas même l’indice d’une modeste considération pour l’avenir du cinéma, l’état de santé du théâtre ou de la danse, les perspectives en matière d’édition et de lecture, les espérances à placer dans l’expansion du jeu-vidéo et de la réalité dite virtuelle.
Pas un geste, pas un signal de soutien appuyé ou d’interrogation critique sur les « filières » (comme on dit en novlangue ministérielle) de l’industrie musicale, du patrimoine, de l’architecture, du spectacle vivant, de l’éducation artistique. Aucune curiosité intellectuelle, non plus, pour le sinistre état de dépendance à l’égard d’une poignée de milliardaires où en est réduite la fiction nationale d’une « indépendance » de la presse française.
Ou plutôt si – mais c’est encore accroître l’aveu d’obstiné désintérêt pour ces matières –, quelques observations de fin de débat, de-ci de-là, dans le fourre-tout soulagé des ultimes secondes d’antenne, pour benoîtement « regretter » de n’avoir « pas pu » évoquer la culture. Ou bien ce bref accrochage, rapidement évacué du plateau, entre Arnaud Montebourg et Laurence Ferrari à propos de la brutalité patronale d’un Vincent Bolloré ayant « tué » iTélé.
Sept candidats postulant à la renaissance de la gauche, donc, et aucune tonalité, aucune résonnance, aucune fibre culturelle dans l’enchevêtrement des thèmes et arguments échangés.
Ils ont pourtant eu le temps et le loisir de tout aborder, des SDF aux énergies renouvelées de dans trente ans, des infirmières au terrorisme, de Poutine à Trump, de l’école primaire au cannabis, du revenu pour tous au travail pour personne, de l’extrême pauvreté à la fiscalité idéale…
Tout, absolument tout, sauf la Culture !
Tout, encore, sauf la gravité de sujets devenus tabous à gauche à force d’être balayés sous le tapis de réformes toujours partielles et bancales ; par exemple : que penser et que faire d’une télévision service public qui, de crise en crise, de présidents en présidente, s’affaisse en audience et confiance un peu plus chaque année?
Comment et pourquoi continuer à justifier l’existence de cet impôt médiéval qu’est la redevance audiovisuelle quand toutes les études (et la simple observation de la vie quotidienne) montrent que les « pratiques de consommation des images » n’ont plus qu’un très lointain rapport avec ce qu’elles étaient il y a seulement dix ans ?
Pourquoi et sur quelles convictions futuristes, à l’heure de la fusion numérique de tous les médias, maintenir l’existence étroite et surannée d’un Conseil supérieur de l’audiovisuel?
Quelles missions, demain -car délibérément ignorées aujourd’hui par le service public- dans les registres de l’éducation artistique (l’école ne peut suffire à tout) et de l’éducation aux Médias?
Financement, production, régulation, Internet, diversité, chronologie des médias, quotas… Sur toutes ces questions, et sur tant d’autres, où dorment les projets? Où somnolent, s’il en existe, les idées ? Où mûrissent, paresseusement, les propositions de la gauche ?
On objectera que, pour le silence et le mutisme en ce domaine, la droite n’est pas en reste. Rien à glaner, pour l’heure, dans les cartons libéraux de François Fillon. Sans parler de l’anorexie culturelle, à ce jour, du programme du candidat « ni-droite-ni-gauche » Macron. Tout cela est vrai. Mais n’est-ce pas davantage de la gauche qu’il est (ou était) historiquement permis d’espérer un sursaut créatif s’agissant de culture et de service public?
On objectera encore, au prétexte de clore ce débat qui n’a pas eu lieu, que ce ne sont pas là de véritables « priorités » au regard de l’importance prise par les enjeux liés à l’Emploi, la Santé, la Sécurité, le pouvoir d’achat… Cela aussi est vrai, grandement, mais en aucun cas nécessaire et suffisant pour justifier l’ignorance ou l’abandon général des questions culturelles.
À quelques heures d’un nouveau et dernier débat entre candidats de la primaire, il serait une fois de plus dommage que cette gauche apparaisse et se confirme dans le statut où elle s’est jusqu’à maintenant complu sur les écrans: celui d’une « belle » et regrettable alliance pour l’oubli de la culture comme enjeu national. PK
1
Warning: count(): Parameter must be an array or an object that implements Countable in /homepages/35/d625980815/htdocs/wp-includes/class-wp-comment-query.php on line 405
Warning: count(): Parameter must be an array or an object that implements Countable in /homepages/35/d625980815/htdocs/wp-includes/class-wp-comment-query.php on line 405
0 Comments