L’art de la com’ : l’insoumission permanente : c’est sous ce titre que la revue Le Débat publie, ce mois-ci ,un excellent et long entretien avec l’une des figures (et « gourou ») de la Com’, le vice-président d’Havas, Stéphane Fouks. En voici un extrait, publié avec l’autorisation des responsables de cette très intelligente publication.
Le Débat. – Vous êtes un éminent représentant d’une profession aujourd’hui particulièrement décriée. La com’ a mauvaise presse et les communicants plus encore, spécialement dans le domaine politique. Comment expliquez-vous cette mauvaise image de gens dont le métier est en principe de produire une bonne image des autres?
Stéphane Fouks. – Les communicants sont aujourd’hui accusés de nombreux maux, qui vont de l’omnipotence à l’inutilité. Ils ont pourtant une fonction d’équilibre cruciale, pour les entreprises comme pour les politiques. Il n’est que de constater les errements auxquels a conduit l’absence de professionnels de la communication auprès de François Hollande. Toute notre réflexion stratégique vise à aider nos clients à garder la maîtrise de leur communication et de leur image, pour leur permettre d’exprimer libre – ment le fond de ce qu’ils veulent dire. Le rôle d’un communicant, c’est d’apporter une nouvelle liberté dans les rapports entre émetteur et récepteur. Aujourd’hui, les entreprises et les politiques qui veulent communiquer se sentent soumis à une double «dictature», celle des médias, qui seraient le seul vecteur légitime pour atteindre le public, et celle de l’opinion, qui imposerait le questionnement, et même la réponse, au travers des sondages et études d’opinion. Notre métier est fondamentalement de contribuer au marketing de l’offre, de soutenir la création d’offres nouvelles et de les aider à rencontrer leur public. Or, celui-ci est plus sceptique que jamais sur ce qui lui est dit et montré. Les consommateurs et les citoyens sont vigilants et ne s’en laissent pas conter. Cette remise en question me semble justifiée devant les excès d’une communication mensongère. Cette défiance confirme ma conviction qu’aujourd’hui il faut libérer les deux extré- mités de la chaîne de communication: celui qui émet et celui qui reçoit, en ayant conscience que ces rôles sont aussi devenus réversibles. Du côté de l’émetteur, nous permettons à nos clients de reprendre le contrôle de leur communication. Cela gêne certains, qui voudraient imposer leurs diktats de transparence: tout savoir, tout vouloir, tout demander. Je m’élève contre cette tendance: notre métier répond à l’exigence de vérité, pas à celle de transparence.(…)
Le Débat. – La communication politique a quand même une assez forte spécificité en la matière.
St. F. – Cette spécificité est en fait une faiblesse: la communication politique n’est plus le laboratoire qu’elle était il y a trente ans. C’est dans la communication politique que les premières expériences de communication globale ont été menées. Trois raisons expliquaient ce rôle pionnier. Tout d’abord, une campagne électorale constitue un travail de communication totale, qui utilise tous les canaux – l’écrit, le son, l’image – et tous les langages – textes, interviews, meetings, événements – pour parler d’une très grande variété de sujets: économie, sécurité, éducation, urbanisme, etc. La politique a donc tout naturellement été le premier endroit où s’est pratiquée une communication décloisonnée, loin du modèle de la propagande qui adresse un message à un seul récepteur via un seul silo. Ensuite, les communicants sont là pour faire apparaître la différence qui permet de choisir entre plusieurs offres. De ce point de vue, la compétition politique se prête parfaitement à l’exercice. Enfin, c’est dans le domaine de la communication politique que s’est manifesté en premier le besoin de s’adapter à ce qu’était le premier vrai média de l’image, la télévision. En France, ce tournant date de la fin de l’ère gaulliste – aux États-Unis, c’est plus ancien. À l’époque du général de Gaulle, la chaîne de télé- vision unique en noir et blanc, sous contrôle du gouvernement, n’ouvrait évidemment pas la même liberté qu’une offre de chaînes multiples proposant une information relativement libérée.
Le Débat. – Pourquoi, alors, cette inventivité s’est-elle tarie?
St. F. – D’abord, parce que les politiques n’ont pas de mémoire. Ils réinventent en permanence leur présentation à partir de peu, et notamment peu de travail de théorisation. De plus, la communication est devenue une maîtresse honteuse, quelque chose que l’on cache, jusqu’à revendiquer même de ne pas en avoir, comme si c’était un certificat de vertu et comme si l’amateurisme, dans une compétition, était un gage d’efficacité. Certains politiques ont voulu faire du refus de la communication une preuve de leur honnêteté intellectuelle, alors que ce n’était en réalité qu’une preuve de leur soumission au monde des sondeurs et des médias. Les communicants se situent naturellement du côté de l’offre. La première chose que l’on apprend en marketing, c’est que l’offre crée la demande. Autrement, des objets comme l’iPhone n’existeraient pas! Les consommateurs n’expriment pas de désir pour ce qui n’est pas connu. Ce n’est donc pas la demande qui peut structurer l’offre. Or que voit-on aujourd’hui en politique? Des gens qui, ne se fiant qu’aux sondages, prétendent préparer l’avenir à partir d’une photographie du passé. C’est aussi idiot qu’inefficace.(…)
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