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Les abeilles meurent. C’est une tragédie planétaire; l’extinction des colonies menace la pollinisation naturelle. Le monde scientifique, réuni à Montpellier, est  arrivé à la conclusion que les causes de l’hécatombe sont multiples. Il n’y a pas un tueur unique: c’est l’évolution des sociétés, et donc les Humains, leur course au bonheur, à ce qui fait le miel de la vie, mais aussi la course au profit maximalisé, et le productivisme moderne, qui ont mis en état de faiblesse ces sympathiques insectes sociaux, désarmant leurs défenses face aux virus, aux pesticides, aux parasites…Cas à méditer : les apiculteurs ont cru trouver la panacée avec un modèle unique de reine hyper performante. Seulement voilà, si ces souveraines sont plus fécondes que les vieilles espèces locales, elles sont moins coriaces, moins adaptées aux spécificités du terrain. Elles ont été les premières à succomber.
La vague de suicides chez France Telecom me fait penser aux malheureuses abeilles. Là aussi, il n’y a pas qu’une cause au suicide, acte infiniment personnel, mais il est certain  que le climat techno-productiviste qui règne à France Télécom a mis ses salariés en état de faiblesse, de vulnérabilité. Seule différence avec les abeilles, c’est qu’ici, ce ne sont pas les rois qui meurent mais les employés.
Il me revient  en mémoire la métaphore qu’avait utilisée Didier Lombard en octobre 2006 au Women’s Forum, à Deauville. Les amateurs de bons vins visitant la Bourgogne, disait le Chairman et CEO de France Télécom, devraient monter en haut des coteaux pour réaliser combien la capacité des vignobles de produire les meilleurs raisins était due à leur ténacité à survivre sur ce sol pauvre, rocailleux.
Didier Lombard a enchaîné sur son groupe. Un groupe qui opérait pour un « market global » mondial où les choses vont trois fois plus vite qu’auparavant. « France Télécom vise maintenant à innover en permanence. Nous courons sur l’eau, si nous nous arrêtons, nous plongeons ».
Le groupe a donc instauré une philosophie, « être à la pointe de l’innovation », et incité les salariés à émettre des idées créatives, « sans relâche ».

Toute la salle a applaudi. Sans réaliser qu’à aucun moment l’orateur n’avait parlé de ses salariés comme de personnes humaines. Les seules attentions étaient réservées aux attentes de la clientèle, chouchoutée.
La multiplication des suicides a remis les pendules à l’heure. Les hommes ne sont pas des grappes de raisins. Mettre son personnel en état d’émulation, et donc de tension, permanente, conduit au désastre humain. Tout le monde ne supporte pas de courir sur des pointes ; parce qu’aussi, il y a les petits chefs, les cadres intermédiaires, qui peuvent être, en plus d’incompétents, des pervers et vous pourrir la vie ; le « c’est pas juste » devient lancinant, opprimant, l’absence de recours.

A Deauville, Didier Lombard a raconté l’histoire d’un ouvrier de Michelin qui avait eu une idée géniale qui fit gagner des milliards à la firme ; pourquoi emballer les pneus puisqu’ils étaient achetés pour rouler ?  Il décrocha le prix de l’innovation, et « il perdit son job puisque sa seule tâche consistait à emballer les pneus ».L’histoire se termine bien, « l’homme a été transféré dans une autre section de la compagnie ». Pourrait-il affirmer aujourd’hui que les suppressions de postes ont une aussi happy end ?
Quel rapport avec les médias ? Sans la couverture des médias d’information, de toutes obédiences politiques, nous n’aurions aucune connaissance de la pandémie de suicides à France Télécom, avec les questions qu’elle oblige à poser sur un modèle industriel A l’heure où les médias sont accusés de tous les vices, il me semble sain de signaler combien ils servent la démocratie. Dans d’autres pays, les journalistes, et les syndicalistes qui se risquent à dénoncer des injustices sociales sont jetés en prison.  PG