Trop à perdre… Alain Weill a fini par céder. Dans une volte-face qui semblait inévitable le patron d’Altice France a soudainement changé de posture et de ton hier en annonçant que le groupe Altice renonçait à réclamer une rémunération pour la reprise du signal de ses chaînes : BFMTV, RMC Découverte et RMC Story vont de nouveau être diffusées sur les box de Free et d’Orange.
Ainsi prend fin un bras-de-fer qui aura vu Xavier Niel et Alain Weill s’affronter durement. Et pourtant…
« Il y a trois personnes qui ont compté ou comptent pour moi: Jean-Paul Baudecroux, Xavier Niel et Patrick Drahi avec qui je travaille. Elles m’ont beaucoup inspiré. Xavier Niel m’a raconté tout ce qui allait changer avec l’ADSL. On pourrait regarder la télévision via des box ou échanger images. Tout ça s’est réalisé « .
Qu’il loin est le temps où le fondateur de BFM TV saluait en ces termes celui qui a été son allié de longues années durant.
Ces propos louangeurs, Alain Weill les tenait le 12 octobre 2008 à Paris, dans le cadre d’un colloque. C’est l’époque où l’homme d’affaires et actionnaire du monde possédait une partie du capital de l’empire médiatique d’Alain Weill : d’après les documents publiés à l’époque par le magazine Challenges le fondateur de l’opérateur télécoms Free détenait, depuis le 17 décembre 2009, 16,80 % de la société par actions simplifiée (SAS) de News Participation, (maison-mère du groupe média) le solde étant détenu par Alain Weill et sa famille.
Ironie de l’histoire ces deux hommes qui s’affrontent dix ans plus tard ont fait un long bout de chemin ensemble. Deux larrons associés autour d’une affaire alors prometteuse. Jusqu’au jour où l’alliance entre Altice et Next Radio TV, entre Patrick Drahi et Alain Weill, est venu casser cette belle entente. Et a conduit Xavier Niel à se retirer. À vendre ses parts, lui permettant passage de faire une belle plus-value : plus de 30 millions d’euros.
Changement de ton et le climat : les alliés d’hier sont devenus de farouches adversaires. Front contre front. Si Xavier Niel a mal vécu le rachat de Next radio TV par Altice, c’est parce qu’il aurait volontiers fait l’opération, à l’époque: racheter BFM TV. De même qu’un autre capitaine d’industrie, actionnaire minoritaire du groupe d’Alain Weill lui aussi, qui aurait voulu également mettre la main sur cette pépite: le patron de Fimalac, Marc Ladreit de Lacharrière.
Cet aspect du dossier est loin d’être neutre. La vengeance est un plat qui se mange froid… Présent dans les arrière-pensées, ce passé pèse lourd dans le conflit qui vient d’opposer le fondateur de Free à l’ancien propriétaire de Next Radio, aujourd’hui à la tête des activités médias et télécoms du groupe Altice en France.
De vieux comptes se règlent ainsi à travers le bras de fer qui oppose Xavier Niel à son ancien partenaire.
En décidant de couper le signal des chaînes de Next radio TV ( BFM TV, RMC découverte, BFM business…) Xavier Niel portait un coup dur à celui dont les antennes venaient d’être également bannies d’une autre plate-forme, celle d’Orange.
Un autre aspect de ce dossier à très peu été évoqué : c’est celui politique.
Voilà des mois que l’exécutif, de Matignon à Élysée, tire à boulets rouges sur BFM TV. Des mois qu’Emmanuel Macron tient des propos très durs sur la manière dont cette chaîne tout-info a notamment couvert la crise des Gilets jaunes. Et des mois enfin que l’on s’active en coulisses pour raboter l’influence d’une chaîne dans le viseur.
Ainsi, ce n’est pas un hasard si la convention de LCI a été profondément revisitée au mois d’avril dernier, permettant à cette chaîne, à compter du 1er janvier prochain, de multiplier ses flashs d’infos et de se rapprocher, ni plus ni moins, du modèle éditorial de BFM TV.
Car le calcul binaire est simple avec cette réécriture de la convention de la chaîne toute info groupe TF1 : Renforcer LCI, c’est affaiblir BFM TV.
Ce n’est pas non plus un hasard si le CSA travaille à une modification de plan de fréquences des chaînes d’info sur la TNT. Celles-ci seront bientôt rassemblées en un même et seul bouquet: ce qui aura pour effet de remettre un peu plus LCI et franceinfo (la chaîne tout-info de France Télévisions) dans le jeu. Bref de rééquilibrer un marché jusqu’ici dominé de la tête et des épaules par BFM TV.
L’offensive de Xavier Niel et de Stéphane Richard s’inscrivaient ainsi dans une logique où la politique a sa place.
Familier d’Emmanuel Macron, le premier a compris très tôt l’enjeu politique de ces grandes manœuvres. De même de Stéphane Richard, un patron en vogue à l’Élysée dont le mandat a été reconduit avec la bénédiction du Président de la république.
Ainsi pris en étau, Alain Weill et Patrick Drahi avaient à faire. Il en allait tout simplement de l’équilibre de tout un groupe audiovisuel. Il en allait également de l’avenir de BFM TV, les plates-formes d’orange et de Free pesant à elles deux 35 % de l’audience de cette chaîne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle qu’anticipant une érosion de celle-ci à terme BFM TV a engagé une stratégie de déclinaisons de son antenne en province. À Lyon et Lille pour commencer. Les régions ? Sans doute le relais de croissance de demain de BFM TV.
En attendant il s’agit de pacifier des relations abîmées avec l’exécutif. L’arrivée de Marc-Olivier Fogiel à sa tête s’inscrit dans ce contexte de crise de confiance. Lui-même l’a dit, sur France Inter ou encore dans les colonnes du JDD, il y a peu : il est aussi là pour « fluidifier » les relations entre Emmanuel Macron (avec lequel il entretient de bonnes relations) et BFM TV. Pour recoller les morceaux entre le pouvoir et ce média.
Fallait-il que Marc-Olivier Fogiel le dise aussi clairement et en ces termes ? Pas sûr….
BFM TV vient de connaitre à travers cette séquence pour le moins sportive et pour la première fois de son histoire une crise qui risquait de lui coûter. Reste à tourner cette page et en ouvrir une autre. C’est toute la difficile mission de son nouveau patron.
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